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        Deux heures plus tard, je me retrouve hors de la propriété, sur un banc d'autorité publique, à siroter une deuxième bière. 

    Depuis mon arrivée, je suis ballottée de droite à gauche afin de me faire présenter aux invités. J'ai oublié la plupart des noms. Eilidh m'a annoncé une anecdote pour chacun d'entre eux, que ce soit des souvenirs d'enfance ou encore un événement marquant depuis leur rencontre, elle a fait en sorte de me faire oublier l'affront de son frère en début de soirée. Ledit garçon dont l'indifférence envers Milas m'a fendu le cœur. 

    Elle a passé quasiment tout son temps collé à son épaule, son bras, son poignet, sans jamais atteindre ses doigts. C'est un détail que j'ai remarqué, parmi tant d'autre dans la maisonnée. Entre autre ce garçon — Josh certainement — qui rougissait chaque fois que Eilidh tournait vaguement son regard dans sa direction, de la manière dont il s'intéressait à ce qu'elle racontait, même si personne ne l'écoutait. Ou encore ces deux duo qui se sont réunis au fond du salon, à converser comme si cela faisait des mois qu'ils ne s'étaient pas vu. 

    Sunoo est venu me trouver à un moment donné, dix minutes avant que je ne sorte à vrai dire, pour me demander comment j'allais, si la soirée me plaisait et si j'avais besoin de quelque chose. Alors je lui ai avoué avoir besoin d'un moment pour moi, de prendre l'air. 

    C'est ainsi que je me retrouve ici, ma parka sur le dos mais mon sac toujours à l'intérieur. Le téléphone à la main, je viens de finir de rassurer Tiphaine sur ma sécurité, sur l'endroit où je suis et si on ne m'a pas kidnappé pour me ramener chez moi de force. 

    Et cela fait deux minutes, sans doute, que je regarde l'horizon sans penser à rien d'autre qu'au paysage sublime qui me fait face. La pluie est passée, les nuages s'en sont allés pour la plupart et m'offrent une vue unique de la presque pleine lune au dessus de l'eau tourmentée par le vent. L'astre est le seul à m'éclairer en cet instant, et je pensais ne jamais pouvoir vivre une telle chose. 

    À Manhattan, et aux États-Unis en général, il est impossible de voir les étoiles en dehors de la campagne profonde — plus que profonde — et la lune brille dix fois moins qu'ici. Je comprends pourquoi maman me parlait des côtes bouleversantes qui l'amenait à faire des heures de route pour s'isoler et profiter du calme qu'elles offrent. 

    Maman connaissait certainement cette plage, cette petite église plus loin qui surplombe une petite colline et ce quai qui doit recevoir des bateaux de temps à autre. Des pécheurs font escales dans les environs, qui sait ? 

    Je bois une courte gorgée de ma boisson ambrée et corsée avant de rejeter la tête en arrière, savourant les rayons frais de la lune sur mon visage gelé. Ils sont plus doux et réconfortants que le soleil, la pluie ou la neige. Une connaissance à côté de laquelle je passais toujours sans jamais m'arrêter. 

«– On est bourrée, Bluefall ?»

    J'expire une vapeur d'eau à l'allure de nuage puis me redresse lentement et tourne la tête vers le trouble-fait derrière le banc, une main nonchalamment calée dans la poche de son ample jean noir, lui aussi munie d'une bouteille de bière entamée. Il semble aussi sobre que s'il n'avait bu que de l'eau ou du jus de fruit depuis le début de la soirée. 

    Et moi je suis assez éméchée pour rester dehors sous le froid de canard et le vent traître. 

«– Besoin d'air, ...?, je m'interromps et me détourne. Laisse tomber, je ne connais pas ton nom.»

    Et parce que je sentais que j'en aurais besoin, je bus une nouvelle gorgée, plus longue que les précédentes. 

«– Eili ne t'a pas dit ça ?, demande-t-il en venant s'asseoir à côté de moi.»

Nomme-moi les couleursWhere stories live. Discover now