AKSEL — Je suis dans une maison, j'en suis sûr. Il y a des murs, du parquet, un toit, des meubles, des bibelots, rien de totalement défini, rien qui bouge, rien qui s'annonce plus qu'autre chose, pourtant, c'est bien une maison. Ouais. Je le sais, c'est comme inscrit dans un vide que seul moi connais.
J'observe mes mains. Les doigts tournent sur eux-mêmes, mes ongles sont des têtes de chatons roux, les phalanges sont inexistantes, mes poignets comme des ballons de baudruche verts. Ça, aussi j'en suis sûr. La fameuse question s'écrit dans ma pensée.
Est-ce que je rêve ?
— Oui.
Ma conscience me submerge, je possède mon moi, je suis bien là. Et je peux jouer dans ce monde à ma volonté. D'un coup de main, je balaye la maison, elle s'envole, clignote dans le cosmos, avant de disparaître dans un feu d'artifice.
Dans quelques mouvements de bras, je dessine un paysage chimérique, des herbes dorées, des montagnes métalliques, quelques soleils, ceux du Sud, avec leur chaleur moite et collante. Quand cette phase de grande architecture est terminée. Je saute et m'envole, j'ai supprimé la gravité, je tournoie dans les airs — à poil — parce que je peux bien être fringué comme je veux, ici, chez moi, dans mon rêve, mon rêve lucide. En planant entre deux nuages, une question fait son incursion :
Pourquoi je dors, déjà ?
Je me souviens. Y avait cette fête, cette fête pourrie, chez nous, ce truc improvisé qui me cassait les noix. Et, j'avais pas envie d'être là, je voulais pas subir la musique que l'on change toutes les cinq secondes, avec sa question type : et celle-là ! Tu connais ?
Je voulais pas entendre les cartes bancaires claquées sur la table en verre, sous prétexte que c'est stylé de faire ses traces de coke avec une premium — alors qu'on sait tous qu'y a pas de fric sur cette premium — je voulais pas boire, surtout pas de whisky ni de vodka ni de bière, la bière c'est dégueulasse, même froide et givrée, c'est âcre et ça gratte la gorge, et avec une clope, ça fait puer du bec — moi, je voulais boire du coca, mais dans le coca, y a de l'aspartame et l'aspartame, qu'ils disent à la télé, c'est pas bon pour la santé, — bon, l'herbe, le rap douteux, et la Heineken, c'est pas mieux — j'avais pas non plus envie de discuter, d'entendre les uns, les autres, raconter toutes ces vies formidables que j'envie, celles qui me forceraient à m'éloigner du moment, à être l'ombre à l'écoute, cloisonnée. En fait, ce soir, tout ça, j'aurais aimé le vivre. Mais, j'ai la trouille. Alors, je préfère être seul. C'est pour ça que je dors, pour pas jalouser les autres, mais surtout pour oublier que j'ai loupé une partie de ma vie.
Tout ça, ça me fait perdre le contrôle de mon rêve.
Je me retrouve dans la nuit noire, dans un néant opaque. Pourtant, à travers le voile obscur, je crois distinguer des étoiles, ou, alors, c'est seulement une impression, c'est peut-être des taches dans mes rétines pour me faire croire que l'inexistence n'a pas de prise. Je respire plus fort. Une pression inconnue se serre sur mon visage, crescendo, elle devient insupportable, mes dents s'écrasent les unes contre les autres, elles fendent ma mâchoire, mes pommettes se réduisent, mes tempes se brisent, la douleur est infâme, inconnue, brutale. C'est ça, l'ombre de mon esprit ? De la souffrance ? Ou c'est seulement un endroit si indéfinissable qu'il n'y a que comme ça qu'il peut être matérialisé ? Peu de temps pour la théorie, je résiste pas, je hurle, je me sens rompre, j'arrive plus à tendre mes mains vers mon visage, et je l'entends, Elle :
— Sam !
Pourquoi, Elle est encore là ! Dégage ! Je veux pas de toi !
C'est peut-être le bon moment pour crever.
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Moi C'est Aksel
Mystery / ThrillerAksel débarque à Marseille avec une valise à la main pour rejoindre Maéva. Dans cette nouvelle vie, il aspire à la liberté, la vraie, celle qu'on lui a toujours promise. Mais un problème persiste. Dès la nuit tombée, une chimère hante ses rêves. Il...