AKSEL — Le lendemain, je me lève la gueule dans la farine. C'est pas bien simple de foutre un pied devant l'autre à huit heures du matin après une soirée terminée trois heures plus tôt.
Mon corps encaisse comme il peut, et dans la cuisine je me confectionne un merveilleux et salvateur café Senseo éventé, tout simplement parce que Maéva — qui devait pas être plus fraîche que moi — a oublié de fermer le paquet avec la pince à linge spécialement prévue à cet effet, que j'ai même étiqueté pour lui assigner bien et clairement sa tâche. J'expire, j'inspire.
Je range un peu la baraque, je balance les bouteilles de bière à la poubelle, je roule le tapis scandinave que je taperais un jour, j'attrape ma tasse, et je me fous sur notre balcon aussi large que moi. Je me pose à même le sol pour allumer ma première et agressive cigarette de la journée. Je contemple un peu le soleil, son aura bouillante, le ciel à l'allure intacte, les quelques traits nuageux d'avion paresseux traînant leurs carlingues dans la stratosphère, ionosphère, troposphère, j'en sais rien, bien loin de moi en tout cas, tout là-haut, dans l'immense et l'impalpable.
Je végète un temps, jusqu'à comprendre que : je suis grave à la bourre pour mon service. Je me lève d'un bond. Je jette mes fringues de boulot dans mon sac à dos, enfile un jean jaune poussin, trouve mon t-shirt qui va avec et saute dans mes Nike chéries avant de quitter l'appartement.
Une fois sorti de l'immeuble, je m'attarde pas sur le cours Ju', j'ignore les traînards de la fontaine, je fonce sur l'asphalte, tête baissée, avec seulement, les effluves de restaurant de bouffe étrangère pour me percer les narines, comme la nourriture indienne mal digérée, les kebabs trop gras, la friture de chinois à volonté — j'ai faim —, les odeurs alimentaires sont couvertes par le CO2 de bagnoles qui escaladent la colline que je dévale, je laisse ma tête se faire désorienter par la musique de Marseille, tous les mots qui viennent de partout, toutes les voix qui s'entrecroisent, les « s'cuse », les pneus sur le bitume, les klaxons, le ronronnement de la cité en émoi, et je descends et remonte sur le trottoir pour éviter une poussette.
Dans la rue de Rome, le tram hurle aigu pour faire dégager un groupe de gosses de la voie. Je slalome entre les gens. Entre deux voitures, j'analyse ma tronche dans les vitrines des magasins à deux sous, et constate qu'effectivement, je suis pas frais, mais sûrement ça passe. Puis je longe la devanture d'une boutique de cigarette électronique, je me souviens qu'hier et avant-hier, je me suis promis de m'en acheter une de vapoteuse pour faire des économies. Mais là, j'ai pas le temps.
D'ici, je sens l'odeur de l'huile rance. Je respire un grand coup avant de rentrer dans le McDonald's qui fait l'angle. Je salue d'un geste de la main Madou et Dory derrière le comptoir qui s'activent pour combler le rush du midi et... — et merde — je suis dégoûté, vraiment dégoûté, j'en ai même un peu la nausée. Franck, cette sous-merde de manager est à côté. J'aurais préféré voir Stéphanie, ou Samara, elles, elles sont douces et gentilles, Franck, lui, c'est un infâme connard frustré d'être « seulement » manager d'une pauvre chaîne de fast-food — moi, je serais content d'être manager.
Bref, que de délices cette journée. Surtout que Franck est déjà devant sa tablette, adossé au freezer, certainement pour éviter de suer plus que d'habitude. Soit il prépare les emplois du temps, soit il joue à 2048. Un coup d'œil dans le plafonnier en métal, et j'ai ma réponse : 2048.
Je file me changer au vestiaire avant de rentrer dans les cuisines discrètement. Je suis à l'heure, je me détends, je me prépare aussi, psychologiquement et physiquement à ce jour et cette heure fatidique dans un vendeur de bouffe low cost un samedi midi. J'observe les dernières minutes couler sur l'écran de la pointeuse. Je bip ma carte. Je rejoins le comptoir et me poste au garde-à-vous devant Franck qui lève un œil ennuyé sur moi.
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Moi C'est Aksel
Mystery / ThrillerAksel débarque à Marseille avec une valise à la main pour rejoindre Maéva. Dans cette nouvelle vie, il aspire à la liberté, la vraie, celle qu'on lui a toujours promise. Mais un problème persiste. Dès la nuit tombée, une chimère hante ses rêves. Il...