Les premiers pas de ma vie

10 1 0
                                    

Les premiers jours de ma vie étaient une course contre la montre. Née prématurée, je luttais pour chaque souffle dans une couveuse, les machines clignotantes autour de moi. L'odeur stérile des hôpitaux, les chuchotements pressants des infirmières et les ombres anxieuses de mes parents en arrière-plan composaient mon univers. Ils étaient jeunes, à peine sortis de l'université, et je m'imaginais que l'avenir leur apparaissait désormais comme une immense vague, prête à les submerger.

Quand je fus enfin autorisée à quitter l'hôpital, ils m'emmenèrent dans leur minuscule appartement à la Chaumière, encore marqués par la peur de ne pas être à la hauteur. Les murs étaient minces, et le bruit constant de la ville en dehors contrastait avec le silence pesant à l'intérieur. Maman ne travaillait pas, tandis que papa, épuisé, enchaînait les nuits comme agent de sécurité, pour subvenir à nos besoins.

Dans ces premiers moments, l'incertitude régnait. Mes pleurs incessants rythmaient leurs nuits et érodaient leur patience. Le manque de sommeil alimentait des disputes à mi-voix dans la cuisine. Je ne comprenais rien de leurs paroles, mais je ressentais leur tension comme un nuage lourd suspendu dans l'air. Tout était fragile.

« On va y arriver, ma chérie. On est ensemble », lui répondit-il, sa voix tremblante trahissant son angoisse.

Puis, un jour, je souris pour la première fois. Un sourire, un seul, qui sembla réchauffer l'appartement entier. C'était comme un signal – quelque chose avait changé. Mes parents s'accrochaient à cette lueur dans mes yeux comme à une bouée. Petit à petit, ils se réorganisèrent, apprirent à mieux se comprendre et à mieux me comprendre. Une routine s'installa. Le chaos qui régnait jusque-là commença à se dissiper.

« Regarde, il sourit ! » s'écria Papa, ses yeux s'illuminant.

Je grandissais dans cette petite bulle d'amour et de survie. Depuis ma fenêtre, je fixais les lumières de la ville qui scintillaient dans le lointain, tout en sentant la douceur rassurante de mon doudou contre ma peau. Chaque jour était une découverte : la texture des couvertures, les ombres dans la pièce, le ronronnement du vieux chat qui se glissait parfois dans ma chambre.

La vie se déroulait à un rythme qui me semblait lent mais paisible. Mais il y eut des moments plus difficiles. Les nuits où mes parents faisaient les cent pas, épuisés par mes pleurs de douleur quand mes premières dents poussaient. Les rendez-vous médicaux, les petites maladies de l'enfance qui venaient régulièrement bouleverser leur fragile équilibre. Malgré tout, ils persévéraient.
Ils m'aimaient. Inconditionnellement. Et moi, j'apprenais à aimer ce monde, à l'explorer avec une curiosité insatiable.

J'observais les flamboyants qui changeaient de couleur à l'automne, je faisais des roulades dans l'herbe au printemps, et chaque goutte de pluie semblait être une nouvelle aventure. Mon quartier devenait ma première aire de jeux, mes premiers pas se faisaient sur ces pavés.

Les années passèrent. J'appris à parler, à lire, à écrire, sous les encouragements bienveillants de mes parents. Ils avaient toujours un mot doux pour me guider, même dans les moments les plus anodins. Leur patience était sans limite. Ils me poussaient à croire en mes rêves, à persévérer, à ne jamais abandonner.

Puis, un jour, tout bascula.
Mes parents tombèrent malades, soudainement et simultanément. Leurs visages autrefois pleins de vie devinrent pâles et fatigués. J'observais, impuissante, la lente dégradation de leur santé. Leurs sourires s'évanouissaient, remplacés par des expressions de douleur et d'inquiétude.

« C'est juste une phase, ma puce », répondit Maman d'une voix tremblante, essayant de masquer sa douleur.

« Nous serons bientôt de nouveau sur pieds, fais-nous confiance », ajouta Papa, mais je pouvais voir la peur dans ses yeux.

Je pris alors un rôle que je n'avais jamais imaginé endosser si tôt. J'appris à gérer la maison, à faire les courses, à préparer le repas, à m'assurer que les rendez-vous médicaux ainsi que les médicaments étaient respectés. Leurs corps s'affaiblissaient, mais j'étais déterminée à être leur force. Mes rêves, mes ambitions personnelles, tout fut mis en pause. Chaque instant était centré sur eux.

Mon père avait obtenu un arrêt maladie avant d'être licencié. Nous n'avions plus aucun sous, je devais maintenant prendre en charge la famille. Puis vint le jour où ils partirent. Le vide laissé par leur absence était abyssal. Les semaines qui suivirent leur décès furent extrêmement douloureuse, une suite de cris étouffés et de larmes silencieuses. Je ne pouvais comprendre pourquoi la vie m'enlevait si brutalement les deux personnes que j'avais le plus aimées.
Je n'avais qu'eux comme repère, je n'avais aucun connaissance de leurs familles proches. Ils ne m'en ont jamais parlé. Dans le tiroir, j'ai retrouvé une lettre qui avait écrit sans doute qu'ils savaient que ce jour-là allait arriver. Dans cette lettre c'était écrit :

Si tu lis cette lettre, c'est que nous ne sommes plus là pour te tenir dans nos bras. Nous avons toujours voulu te protéger, et c'est dans cet esprit que nous avons décidé de ne pas te parler de notre passé et de nos familles.

Nous venons d'un monde que nous avons voulu laisser derrière nous. Nos parents, qui devaient être notre refuge, étaient en réalité des personnes qui ne comprenaient pas notre amour, notre choix de vie. Ils nous ont rejetés parce que nous avons choisi de suivre notre cœur, et non les traditions qu'ils tenaient si chères. Ce rejet a été pour nous une douleur immense, mais nous avons appris à vivre sans eux.

Nous avons construit notre propre famille, et nous avons mis tout notre amour en toi. Pour nous, tu étais tout. Nous ne voulions pas que tu portes le poids de notre histoire, de notre tristesse. C'était notre choix, et nous espérions qu'en te préservant de ce passé, nous pourrions te donner un avenir lumineux.

Si nous n'avons jamais parlé de nos parents, c'est parce que nous avons choisi d'avancer, de bâtir quelque chose de nouveau. Nous avons voulu que tu grandisses dans un environnement où l'amour était présent, sans le poids de l'histoire de nos blessures. Nous avons fait de notre mieux pour te donner ce que nous n'avions pas eu : une enfance douce, pleine de rires et de rêves.

Saches que notre amour pour toi a toujours été inconditionnel. Même si nous ne sommes plus là physiquement, notre amour t'accompagnera toujours. Lorsque tu te sentiras perdu, regarde au fond de ton cœur, et tu y trouveras notre essence, notre force.

Ne laisse pas la douleur et la tristesse te définir. Souviens-toi de nous avec amour, et sache que nous avons toujours cru en toi. La vie peut parfois être cruelle, mais tu as en toi une force que tu ne soupçonnes peut-être pas. Ne laisse jamais l'absence de notre présence te priver de vivre pleinement.

Nous t'aimons au-delà des mots et au-delà de la mort. Sois courageux, sois fort, et fais de ta vie un hommage à notre amour.
Avec tout notre amour,
Maman et Papa

Pourtant, même dans cette immense douleur, je trouvai en moi la force de continuer. Ils m'avaient légué bien plus que je ne l'aurais cru. Leurs conseils, leur amour, leur résilience vivaient encore en moi. Ils étaient partis, mais je sentais leur présence dans chaque décision que je prenais, dans chaque pas que je faisais.

Vous avez atteint le dernier des chapitres publiés.

⏰ Dernière mise à jour : Oct 19, 2024 ⏰

Ajoutez cette histoire à votre Bibliothèque pour être informé des nouveaux chapitres !

Un combat pour la vie Où les histoires vivent. Découvrez maintenant