Le plus heureux - Jikook

14. Tentative ratée

          J'entamais en ce moment même ma pause midi bien méritée. Il fallait admettre que mon dernier patient s'était révélé assez agressif verbalement. J'ai bien failli le mettre à la porte. Heureusement, le temps m'a appris à prendre sur moi, à garder la tête froide et à rester courtois en toutes circonstances. Ce qui s'avérait être un avantage, un atout je dirais. Recevoir des patients aussi malpolis avait quand même le don de mettre mes nerfs à rude épreuve et mon humeur à bas. Bien que cela ne se ressentait et ne se voyait guère, à l'intérieur régnait parfois un chaos bouillant que je ne laissais sortir qu'en pleine nuit, lors de mes dangereuses escapades régulières. Le reste du temps, tout se consumait en moi ou finissait dans les pages immaculées de mon journal de bord que je conservais avec un attachement singulier. Je regrettais amèrement de ne pas l'avoir emporté dans mes affaires aujourd'hui. Je n'avais rien sous la main pour extérioriser ma colère, mon agacement. De plus, pour me déprimer jusqu'au bout, je finissais à vingt heures ce soir. Aujourd'hui n'était, décision prise, pas une agréable journée.
Mon plat, que j'ai cuisiné hier soir, fumait lorsque je le sortis du micro-ondes. J'avais hâte de le déguster, car mon estomac criait famine. Ce mélange de saveurs qui me venait tout droit de mon grand-père paternel me ramenait toujours dans ma tendre enfance. Je le revoyais m'apprendre les secrets de ces recettes si basiques, qu'il transformait en plats uniques, à l'image de son caractère bien trempé. Il me tardait de revoir mes chers grands-parents.
La sonnerie soporifique de mon portable me tira de mes souvenirs d'une brusque façon. Je lâchai mes baguettes en bois et attrapai mon smartphone. Le nom qui s'affichait me fit tiquer ; Hoseok. Je décrochai aussitôt.

— Bonjour Hoseok.
— Bonjour Jungkook, tout va bien ? me questionna-t-il sur un ton amical.

Notre proximité fraîche ne cessait de me perturber. Hoseok était un homme direct et, tout naturellement, proche de ses semblables. C'est ainsi, qu'en quelques jours seulement, on se tutoyait déjà. Il agissait comme s'il me connaissait depuis des mois. Ce n'était pas désagréable, cela dit.

— Comme quelqu'un qui s'est fait agresser verbalement pendant près d'une heure, lui répondis-je sincèrement.

Son soupir en dit long sur la consternation qu'il ressentait à présent. Nous nous comprenions sans même avoir besoin de nous expliquer.

— Que veux-tu, il arrive parfois de tomber sur de vraies enflures... se lamenta Hoseok.

Enflures comme le petit ami de Jimin... pensais-je tout bas.

— Hélas... Et comment vas-tu ?
— J'ai la pêche, comme toujours ! Je passe mon temps à danser, rien ne me rend plus heureux ! À part ma famille et mes amis.

Je souris à travers notre appel. L'enthousiasme, la joie de vivre de mon nouvel ami balaya toute trace d'énervement en moi. Mes épaules se relâchèrent.

— En parlant d'amis, il faut qu'on discute de Jimin. Il refuse qu'on parle de ce qu'il s'est passé quand tu es venu l'autre soir, m'apprit-il.

Cette fois, ce fut moi qui soupirais, déçu par la réticence de Jimin. Et dire qu'on commençait à avancer il y a à peine trois semaines !

— Je ne sais plus trop quoi faire. En plus, Minhyun est constamment là. Que ce soit le matin quand il arrive à la compagnie, le midi, alors qu'avant Jimin mangeait avec nous ! Et il est là le soir. Il le texte toutes les deux heures... Il me fait penser à un de ces parents à l'éducation stricte au possible...

Je n'en crus pas mes oreilles.

— Tu es sérieux, Hoseok ? Et Jimin ne dit rien ? insistai-je, alarmé.
— Ouais, je suis on ne peut plus sérieux, m'affirma-t-il. Hum... j'en sais rien... Jimin est mille fois plus... concentré au boulot, car le casting approche... Donc on blablate moins que d'habitude. Tu sais comment on pourrait annoncer le sujet sur le tapis ? Parce que cette histoire commence sérieusement à m'inquiéter...
— À part... le prendre à part pour lui en toucher deux mots... Non, je n'ai pas d'idées... admis-je, lamentable. Et dire que Jimin se fait sûrement manipuler... Ça me rend... malade de savoir l'emprise que ce type a sur lui...