J’ai l’affreuse sensation de fondre à l’instant où ma paume presse le métal froid de la poignée de porte de mon petit appartement.Je ne sais comment je trouve le courage d’enclencher la poignée. Elle s’ouvre dans un grincement ténu caractéristique, que je n’ai l’habitude d’entendre que depuis la chaise tordue devant le bureau ou de dessous mes couvertures, au fond de mon lit, lorsque ma mère ou ma soeur se donnent pour mission de secouer l’asociale que je suis, puisqu’il m’est apparemment impossible de le faire seule, à leur grand damne.
La mission du jour ? M’occuper des plantes et de l’appartement du petit vieux au fond du couloir. En ce qui me concerne, ouvrir la porte de l’entrée c’est déjà une belle prouesse et j’ai envie de retrouver mon cocon. Je dois cependant admettre que jusqu’ici, ce n’a pas été si compliqué, à condition que la simplicité s’accompagne de nausées et de tremblements irrépressibles.
Je secoue la tête et les épaules pour essayer de me décrisper.
Au moins, j’ai le paillasson élimé du seuil dans mon champ de vision. Depuis quand ne l’avais-je pas vu ? Avait-il toujours eu cette affreuse couleur caca d’oie ?
J’ai à peine le temps de me dire que la mission est bien assez réussie pour aujourd’hui - cela fait une semaine que ma mère s’est engagée en mon nom auprès du voisin pour que je m’occupe de son intérieur, une semaine qu’avec ma soeur elles se relaient pour me pousser à accomplir, réussir l’exploit de sortir de moi-même de mon chez-moi, pire, d’entrer dans un lieu inconnu - que j’entends s’ouvrir la porte de la salle de bain. Elle claque contre le mur.
— Séra ! Dépêche-toi ! Les plantes du voisin ne vont pas s’arroser seules comme par magie !
Je sursaute. La bandoulière de mon sac glisse de mon épaule et se retrouve suspendu à mon avant-bras, à mi-chemin entre la porte et mon épaule. Dans ma poitrine, mon coeur qui semblait participer à un concours de corde à sauter se lance à présent dans un spectacle de claquettes effrénées. J’y presse ma paume libre dans l’espoir d’en contenir les soubresauts et chancelle.
Je tourne la tête. Ma soeur a passé sa tête par l’entrebâillement de la porte reliant ce qui nous sert de cuisine au vestibule minuscule. Ses cheveux frisés relevé à l’arrache à l’aide d’un crayon, elle s’acharne à enfiler son pantalon, serviette négligemment abandonnée à ses pieds sans la moindre notion de pudeur. Des perles d’eau ruissèlent sur ses épaules dénudées.
— Tu comptes rester là encore longtemps ? M’houspille-t-elle encore.
Son bouton en place, elle darde ses yeux froids sur moi, la mine pincée. Je n’ai pas que ça à faire moi et tu es en retard.
Je ne réponds pas, la gorge trop sèche pour rétorquer. Elle me foudroie du regard devant mon manque de réaction.
— Il est déjà onze heure, insiste-t-elle.
Elle récupère la serviette, la passe rapidement sur ses épaules et la jette négligemment derrière elle, sur ce que je devine être le tas de linge sale devant la machine à laver. Elle ouvre la bouche, prête à poursuivre mais je détourne les yeux, soupire et décide de décamper avant qu’elle ne se lance dans un énième monologue désapprobateur. Mon cerveau est de toute façon trop occupé à imaginer quels dangers pourraient m’assaillir entre mon entrée et celle du vieux au fond du couloir pour trouver la moindre répartie acerbe.
Je dois me faire une raison: je n’ai définitivement pas le choix. Dans ma tête, le piège soigneusement orchestré par ma mère se referme dans un craquement sinistre, qui m’arrache un frisson.
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Souris ! (titre provisoire)
ParanormalSéra ne sort plus de chez elle, si ce n'est avec la boule au ventre, en proie à ses angoisses. Elle peut compter sur le soutien indéfectible de sa sœur: Helena. Personne n'est mieux placée qu'elle pour comprendre l'immensité des peurs qui entravent...