Chapitre quatre - Liberté des cultes

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Le Bouffon étudia la carte, et la Liberté, et ses yeux effectuaient des vas et viens de l'originale à la copie, quel que soit l'ordre de création. "Alors, dit l'allégorie, et il reconnut en elle la gouaille agacée du Pique. Est ce un jeu de cartes, ou ce jeu récent, là, les sept différences ? N'as tu pas fini de me reluquer ?"

 "Le jeu des sept différences, répondit le Bouffon, existe depuis Charles Quint. Je m'y connais, en jeux ! Je ne suis pas inculte ! Et ensuite, je ne suis pas habitué aux personnes comme toi. Ton costume... C'est du gréco-romain ? Et tes livres, tes livres... Je n'ai rien vu de tel." Tandis qu'il la questionnait, la femme se faisait plus aimable. Sa robe blanche, mâtinée de jaune et de tons bleutés, découvrait de robustes genoux, partie qui se montrait peu en public. Ses jambes musclées choisirent bientôt un rocher, pour asseoir leur propriétaire, et elle cala les livres entre ses sandales à l'antique. Portant une pique, un bonnet phrygien au dessus, une ceinture noire peu ornée, elle laissait tomber ses cheveux fins sur ses épaules. Son nez possédait la même finesse. Elle s'expliqua volontiers sur les livre : le Talmud, ce livre des Juifs dont, après moults hésitations et tumultes on fit des citoyens égaux aux autres l'an précédant. "Il y a des discussions agricoles, je l'ai lu, c'est pas mal du tout", dit la Liberté des Cultes. "c'est beaucoup de discussions, de débats, d'interprétations." 

L'autre livre se nommait "Coran". Même laïus : c'est intéressant, c'est la dictée du Dieu des "musulmans". Le Bouffon ignorait le mot. "Inculte, lui dit la liberté de culte. C'est cette religion dont vous appelez les croyants "mahométans".

- Ah mais ouiiiiii ! Comment puis je deviner, si vous changez les mots ? 

- On a bien changé le gouvernement. Et le mot français "musulman" existe dès le 16e siècle. Et je n'ai pas encore parlé des protestants...
- Mais oui, il y eut un édit de tolérance, il y a quoi...
- Il date de 1787", souffla la cultivée liberté de culte, qui continua, en évoquant les Evangiles.

- A l'aide ! criait on du dehors. 

- Encore du tapage, soupira le Bouffon, je retourne à ma Patience. 

- Si tu veux, mais tu rateras l'épreuve. 

- Bon, admit le Bouffon de très mauvaise grâce, si cela signifie que je dois m'extraire d'ici..." Il contourna l'arbuste en Cœur, sans entendre la suite de l'évangile selon Saint Mathieu, quel dommage. 

Un homme proférait des menaces, clamant qu'il allait tuer celui qu'il poursuivait. Sa proie, homme également, trébucha sur une racine, ce qui fit rire le prêtre qui voulait l'attraper. L'homme était tombé sur la racine chrétienne de la France, d'après l'homme d'Eglise. Ce trait d'esprit ne fut pas du goût de l'homme poursuivi, et une rixe commença. Le Bouffon, sans avoir reçu de consignes, fonça et se retrouva mêlé, il les sépara. "Très bien, dit la Liberté des Cultes. Puis, au prêtre : citoyen, tu es un réfractaire, hein ? 

-Non, répondit le prêtre. Je suis constitutionnel. Le citoyen Hébert agit anticonstitutionnellement." La rixe faillit reprendre. Le Bouffon, le regard rivé sur ses cartes, inquiet qu'il leur arrive quelque chose, s'en retourna les séparer. Hébert avait lancé son journal en 1790. Le Père Duchesne constituait un trésor pamphlétaire, d'un enthousiasme révolutionnaire. Ce journal, le Bouffon le surnommait affectueusement "ma petite feuille de chou", mais ce n'était pas une insulte de sa bouche. Au contraire, il n'en manquait pas un numéro. Il comptait souvent des mots grossiers, tels...


"Va te faire foutre", dit Hébert au prêtre. 

Un blanc se fit. Dire que quelques décennies plus tôt, un homme ne se découvrant pas lors d'une procession religieuse pouvait être torturé et mutilé ! Désormais, la parole, qu'elle dépasse ou non la pensée, qu'elle soit peu catholique ou pieuse, se libérait. Ce mot révolutionnaire fit bondir le prêtre. Hébert en profita pour saluer d'un "liberté, citoyen", le Bouffon, qui répondit à son salut. Puis Hébert ajouta : "ton épreuve, c'est de distribuer ces journaux aux salariés rentrant du travail, dans ces rues là bas.

- Non, répondit le Prêtre, ton épreuve, c'est de dire la messe en empêchant les Révolutionnaires de la perturber. Encore heureux, le Saint Chrême est intact ! Lui qui est présent depuis Clovis ! (En réalité, on ne parla du Saint Chrême que depuis le neuvième siècle). 

- Tu me donnes des idées, répondit  Hébert sans être sollicité. 

- Jacques René, fit la voix de  la Liberté de Culte, point de provocation, s'il te plaît." 

- Liberté de Culte, gémit le Bouffon, que puis je faire? 

- Tu demandes à la liberté ce que tu peux faire ? Mais tout, citoyen, tout ce qui est conforme aux lois. 

- Non, je veux dire... Quelle est mon épreuve ? 

- Ton épreuve est d'agir conformément à la liberté de culte. L'as tu saisie ?"

Conforme à la liberté ? Le Bouffon se creusa les méninges. Il commença par empêcher la bagarre. Il les sépara et la liberté de Culte se mit à sourire, à rire, à battre rapidement des mains. Elle n'avait plus rien de la matrone moqueuse de tout à l'heure, on eut dit une enfant surexcitée. Et, afin de séparer les belligérants, il déterra l'arbre, usant de sa force. La liberté de culte l'aida, et  les racines chrétiennes avoisinaient la labyrinthique écorce. Une frontière nette entre Hébert le révolutionnaire et le prêtre constitutionnel était marquée. Le Bouffon sauta par dessus le tronc et reprit sa patience. Le prêtre déclara qu'il lui ferait sa Noëlle à ce sale Hébert, et Hébert que décidément, le prêtre méritait un mariage forcé. Mais séparés par l'arbre et par les quelques assistants qui applaudissaient, chacun s'en fut de son côté. On entendait diverses prières, ainsi qu'un flûtiste qui jouait de la musique profane. "Mais alors... se dit le Bouffon. De qui vais je pouvoir me moquer, s'il n'y a plus rien de spirituel ? A moins que... La raison, elle doit être spirituelle, elle ! Et l'Etre Suprême... " Ce terme était encore abstrait en ces moments bouillonnants. Il retourna à la racine, en garda un bout en souvenir. 

"Les racines chrétiennes de la France, dit la femme, les voilà". Et d'ajouter : "on ne puit parler de laïcité tout en revendiquant ces racines pour le pays." Le Bouffon soupira. "Ai je... demanda t il timidement. 

- Parle. 

- Ai je réussi l'épreuve ? 

- Oui. Tu as évité la rixe, et Dieu, ou YHWH, ou Allah, ou l'Etre Suprême sait qu'il y a des règlements de compte sanglants ces derniers temps. La Liberté de Culte... moi, je devrais critiquer les dogmes, me montrer tolérante envers les croyants et juxtaposer tout le monde." Le mot juxtaposer fit rire le Bouffon, qui se dépêcha de jouer. Semblant deviner ses pensées, la Liberté de Culte dit fraternellement : "c'est un ensemble d'épreuves qui se fonde sur la vitesse, donc tu as raison de ne pas perdre de temps. Citoyen, je te dis Liberté !" Tout à sa patience, le Bouffon fit la même chose à Jacques-René, au prêtre et à la Liberté qu'au Pique et à Jean Démosthène : il ne répondit guère. 


La patience du bouffonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant