Malena
San Basilio se trouve au nord-est de Rome. Géographiquement, on est pas loin du centre, dix bornes en voiture, environ la moitié en scooter. Esthétiquement ? On est à des années-lumières.
Ici, pas de fontaines, pas de bâtiments classés, pas de restaurants chics. Juste la misère, un taux de criminalité élevé, et des logements sociaux érigés en blocs de béton présentant des façades austères décrépies. Lugubres. Déprimantes. Gerbantes.
Je traverse l'aire de jeu derrière la Via Fabriano en tirant ma valise derrière moi, les roulettes écrasant des seringues usagées, des pacsons vides, et des débris de verre. Autour de moi, les structures de jeux, autrefois colorées, sont usées, rouillées, fatiguées. Les seules couleurs perceptibles dans les environs sont les graffitis obscènes qui souillent les murs fissurés. Soixante-dix pour cent sont des phallus difformes, le reste des majeurs en l'air.
Du mouvement dans mon champ de vision me fait lever la tête. C'est ma petite soeur Alessia qui me fait de grands signes depuis le balcon de notre appartement, celui avec la porte décorée d'un rideau anti-mouches vert pomme. Je lève deux doigts dans sa direction en articulant exagérément "j'arrive", avant de me diriger vers le muret derrière le tourniquet qui sert aujourd'hui de local poubelle au voisinage.
— Angeli, me salue Salim, assis entre ses deux acolytes ; un albinos au regard fuyant et un renoi baraqué qui freestyle en lisant ses notes d'iPhone.
Il descend du muret et demande :
— Qu'est-ce qui t'amène ?
— Je suis à sec, l'informé-je en écrasant un paquet de clopes vide sous la semelle de ma basket.
— Combien il te faut ?
Salim Hassani est le fournisseur officiel des revendeurs de ganja de San Basilio. Il ravitaille aussi Tor Bella Monaca depuis que Maurizio Morabito s'est fait coffrer le mois dernier.
— Cinquante grammes, annoncé-je en sortant le cash que j'avais préparé dans le bus.
Hassani siffle, impressionné.
— Hé bien, on dirait que les bourges de ton bahut sont de bons clients, observe-t-il en prenant mon argent.
Je hausse les épaules, faussement désinvolte.
— La vie de château, c'est éprouvant, répliqué-je, moqueuse.
Salim ricane à ma vanne, avant de m'agripper la taille pour me rapprocher étroitement de lui. Avec des gestes précis et maitrisés, il ouvre la tirette de mon sac à dos et y fourre la beuh. Et avant de m'écarter de lui, il murmure contre mon oreille :
— Tu sens bon, Angeli. Comme une vraie fille.
Mal à l'aise, je me cramponne à la hanse de mon sac à dos et hoche la tête, avant de détaler comme un lapin en direction du taudis qui me sert de maison.
J'ignore le commentaire de l'albinos sur mon jean qui me fait un « cul baisable » et franchis la porte du hall commun. L'ascenseur — en panne depuis toujours — me nargue tandis que je me tourne par dépit vers les escaliers. Deux nouveaux tags ornent les murs sales de la cage d'escalier : l'un stipule « Nique la police » et l'autre « G.J, rends la thune que tu dois ou on viole ta soeur ». Quand j'atteins enfin mon pallier, je suis essoufflée comme un boeuf, et je n'ai plus aucune force dans les bras.
— Malena ! s'écrie ma petite sœur en se jetant sur moi, manquant de me faire tomber en arrière. Tu m'as trop manqué !
Derrière elle, mon beau-père, dans son sempiternel marcel jauni par la sueur, braille :
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Pretty Savage
Romance** n'est qu'un putain de bourge privilégié aux fringues de créateur et au regard insolent, plus noir que L'Érèbe. Et il semble oublier que le passé laisse des marques, et qu'elles sont indélébiles. Mais je compte bien les lui rappeler. 𝑃𝑟𝑒𝑚𝑖𝑒�...