Je me demande parfois si le destin aime jouer avec les gens comme moi. Si l'univers, ou Dieu ou je ne sais qui, prend plaisir à regarder des âmes comme la mienne se débattre dans la douleur, comme un poisson qui lutte contre un filet invisible. Peut-être que j'étais condamné à ça depuis le début. À vivre dans un coin de la pièce, invisible aux yeux des autres, à avoir une vie qui se résume à survivre, et ça, depuis que j'étais gamine.
À la maison, il n'y avait pas de place pour les rêves. Ma mère était une ombre, effacée par son mari, ce monstre dont le nom me donne encore des frissons. Et moi ? Moi, je me contentais d'être le punching-ball. Parce qu'il fallait bien que quelqu'un serve de défouloir. C'était lui, mon beau-père, et c'était moi. Depuis que j'étais gamine, j'avais appris à m'effacer, à devenir invisible. C'était ma manière de tenir. De ne pas finir brisée.
Mais il y avait les jours à l'extérieur, la fac, où je me disais que peut-être, peut-être il y avait un peu d'espoir. Un peu de lumière quelque part dans cette foutue vie. Et puis, comme à chaque rentrée, je croyais pouvoir tout effacer, tout recommencer. Mais l'espoir n'est qu'une illusion. Je le savais au fond. Chaque sourire, chaque nouvelle rencontre, ça finissait toujours par retomber. Et je rentre avec. Toujours.
Quand j'étais petite, je croyais que la douleur finirait bien par s'arrêter. Mais elle n'a jamais arrêté. Elle se cache derrière chaque pièce sombre, derrière chaque moment de tranquillité. Même à la fac, quand je pensais pouvoir être différent, quand je croyais que l'endroit offrirait une sorte de rédemption, il n'y a rien eu. J'ai beau faire des efforts pour être là, pour exister un peu, je suis toujours cette fille un peu en retrait, un peu à l'écart, comme si je ne pouvais jamais faire partie de ce monde.
C'est étrange, cette sensation de toujours être en marge. Comme si ma place n'était pas ici, mais dans un autre monde, un autre univers où je pourrais respirer, où je pourrais être plus que ce simple spectateur de ma propre vie. Mais ce monde-là n'existe pas, je le sais. Et puis, après tout, peut-être que c'est ma place, celle d'une ombre qui erre sans but, qui se contente d'aller de l'avant, jour après jour, sans jamais vraiment se poser. Parce que s'arrêter, c'est se laisser engloutir, et je n'ai pas le droit de me laisser engloutir.
À chaque nouvelle rentrée, chaque nouveau début, je me dis que cette fois peut-être, tout va changer. Mais il n'y a rien de neuf sous le soleil. Rien ne change. Je me fais toujours toute petite, je me cache encore derrière des sourires que je ne ressens pas, derrière des rencontres que je ne veux pas vraiment faire. Parce que j'ai appris, au fil des années, que l'espoir finit toujours par disparaître, qu'il est toujours trop fragile pour durer. Alors, je le laisse filer, comme tout le reste.
Je me contente de survivre. C'est tout ce que je sais faire. Et, parfois, dans l'obscurité, je me demande s'il n'y a pas une part de moi qui préfère ça. Parce qu'au moins, en survivant, je garde une forme de contrôle. C'est étrange, cette manière de se répondre sur soi-même, de devenir insensible à tout ce qui pourrait me faire du mal. C'est comme si la douleur, l'isolement, tout ça, partie faisait de moi, comme un manteau trop lourd que j'ai appris à porter, même quand il me brûle la peau. Parce que, dans cette solitude, au moins, je ne suis plus dépendant de personne. Au moins, je ne risque plus d'être déçue.
Et puis, il y a ces moments, rares et fugaces, où je me demande ce que ça ferait de vraiment exister. Pas juste de survivre, mais d'être pleinement présente, d'avoir une place, un but. Ces moments où je me surprends à rêver, à imaginer une vie où je pourrais être moi-, sans peur, sans obligation de me cacher, où je pourrais être vue, et même aimée. Mais ces pensées, elles ne durent jamais longtemps. Elles se dissipent vite, emportées par la réalité. Parce qu'au fond, je sais que ce genre de vie, elle est pour les autres, pas pour moi. Moi, je suis condamnée à vivre dans l'ombre. Et l'ombre, ça ne se voit pas.
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MANO MORTA
RomanceMorta a grandi dans un environnement difficile. Son beau-père est violent, son père est inconnu, et sa mère est totalement soumise à son mari, négligeant totalement sa fille. Depuis ses années au collège, Morta vit un véritable cauchemar, où chaque...