Plus vite, plus fort - L'héritière de la bratva

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(Si vous souhaitez une analyse d'un de vos écrits semblable à celle ci, contactez moi ici ou sur mon Babillard !) 

 Dans ce chapitre, j'analyse le prologue d'une œuvre dont le titre provisoire est l'héritière de la bratva. A la lecture du résumé, cela semble un livre d'action, et une dark "romance" bien que l'autrice, @yudithjugla6, rappelle judicieusement en guise d'avertissement qu'il ne s'agit pas d'amour, mais de comportements violents inacceptables. Je vous conseille de lire le début,  mais n'oubliez pas que l'œuvre est classée en "Mature" et donc commencez par l'avertissement. L'histoire se veut sombre.  

Je me concentrerai, comme d'ordinaire, sur le prologue en lui même et pas sur l'histoire globale. Un mot cependant : le terme "bratva" désigne la mafia russe et signifie "fraternité" (je ne suis pas russophone), la page Wikipédia de la mafia russe est malheureusement peu sourcée. De manière générale, c'est un thème un peu "piégeux", car il est assez spéculatif et fascine beaucoup de Wattpadien.ne.s (ce n'est pour ma part pas mon cas). La scène ne se passe ni en Russie ni aux USA, mais sur une base militaire. 

Le souffle coupé, un phrasé vif 

La narration, dans le prologue du moins, est à la première personne, du point de vue de l'héroïne Reed, nom que le lecteur connaît dès la première phrase. Rédigé au présent, il nous transporte dans l'action. On a l'impression, en lisant, d'une héroïne dans l'action immédiate, mais qui se remémore son passé, du fait de traumatismes. Le texte est alors écrit au passé. 

Stylistiquement, on a un monologue intérieure, où Reed s'adresse à elle-même, dans un phrasé haletant et répétitif, comme pour asséner qu'elle doit y arriver, qu'elle laisse les autres sans en avoir le choix, et surtout "ils ne peuvent rien", dit trois fois, comme pour s'autopersuader. Le verbe pouvoir s'analyse de deux manières : la possibilité physique (ex. je ne peux pas marcher sur l'eau) et le droit (je ne peux pas insulter un agent de police dans ce dernier sens). Ici,  il est question de droit, et elle s'autoconvainc qu'ils "connaissent les règles". Pourtant, on n'est pas obligé de la croire, en tant que lecteur : la répétition montrant au contraire qu'elle cherche à se rassurer. 

"L'alarme qui résonne" interrompt les pensées sur le passé et ses leçons, à savoir : le monde est impitoyable, c'est à toi de te battre. Une pensée extrêmement individualiste, logique dans un contexte de survie, le milieu de la mafia, déjà pas très tendre pour employer une litote, est pire encore pour "une femme entourée d'hommes". On a donc une divagation sur le passé de l'héroïne, qui sert aussi à poser l'enjeu, interrompue par l'action immédiate, qui d'une certaine manière illustre cette pensée : je dois être forte, me battre et... d'ailleurs, faut que j'agisse maintenant, l'alarme sonne. Cette "putain d'alarme" rend folle la narratrice, qui parvient à sortir par le grillage... Le présent et les grossièretés (qui sont bien dosées à mon sens) contribuent à ce ton haletant. 

Mais ce prologue n'est qu'un avant goût, car la famille, souvent utilisée comme moyen de pression, sert ici d'enjeu : pour sauver sa famille (motivation de Reed), l'héroïne est prête à tout. La suite de l'histoire, à partir du premier chapitre, est qualifiée par la périphrase "les choses sérieuses". C'est un procédé que j'avais trouvé dans le prologue de "Gémeaux" analysé il y a environ cinq chapitres, l'idée que l'action subie "in media res" (au milieu de la chose, littéralement : un début au milieu de l'action) n'est qu'un "avant goût", n'est rien par rapport à la suite. D'où un effet "bande annonce". 

Déshumanisation : l'humanité de Reed mise à l'épreuve 

Souvent, les romans (ou fictions) d'action mettent l'humain à l'épreuve,  physique ou morale, le plus souvent les deux. La discipline de l' "armée", de l'espionnage, est traduite dans le passage suivant, le plus intéressant de l'extrait à mon sens : l'énumération "à torturer, à tuer, à interroger et à obéir aux ordres sans poser de questions" (ces actions sont liées entre elles. Petite parenthèse : ne pas questionner les ordres me semble une consigne très classique dans ces milieux. Par exemple, dans le témoignage de Valérie Zenatti, qu'on m'a fait lire ado, sur Tsahal (l'armée d'Israël dont je ne cautionne à peu près rien), la première chose qu'on leur dit au service militaire est de ne pas discuter les ordres (suivi d'un blabla sur l'armée la plus morale du monde, qui fonctionne auprès des plus endoctrinés).

L'héroïne est déshumanisée, réifiée (de res, la chose en latin). Elle se compare avec insistance à une arme de guerre, à une machine. Donc, en plus de la réification, on a une des pires formes d'exploitation. L'héroïne elle même y croit un peu, puisqu'elle sait que c'est une façon de s'améliorer (sur le plan militaire), de devenir plus forte (ce qui ne nous tue pas...). Donc l'imprégnation a fonctionné, puisque Reed ne condamne pas proprement dit la torture qu'elle a subie, ou pu subir. Cette torture n'est décrite qu'indirectement : elle n'a "pas subi de traitement de faveur", ce qui est une litote : ce n'est pas une mince affaire ! est une litote, par exemple. Ou bien : s'il s'engage à l'armée, c'est pas pour tresser des couronnes de fleurs,  si vous voyez ce que je veux dire...

Autre chose : dans un contexte de survie, on ne fait pas confiance. Reed qualifie son cœur de "traitre", c'est un poids dans ce genre d'histoires. Elle insulte une part d'elle même qui, trop naïve, peut entraîner sa chute. 

Pourtant, son once d'humanité est qu'elle souhaite protéger sa famille, ce qui la rend d'une certaine manière plus inhumaine encore : elle devra agir selon la doctrine "la fin justifie les moyens". Ce qui caractérise les antagonistes ou les antihéros, mais peut également conférer une certaine force à un "héros" plus classique selon les circonstances. 

*****

Comme le montrent les considérations sur les "notes d'histoire" Wattpad, le personnage évolue selon les évènements, pour le meilleur ou pour le pire. C'est une façon de dire que ce qui va caractériser un personnage, c'est l'histoire et l'expérience.  Ici,  l'expérience de Reed est terrible et déshumanisante, sur plusieurs plans. Chercher à la classer comme héroïne ou antihéroïne dans ces conditions est vain : car ce n'est pas une case "muette", elle ne part pas d'un contexte zéro. J'ai d'ailleurs lu que la "dark romance" fait fi des cases morales, est plus grise que blanche ou noire. A titre personnelle, je classerais Reed dans les victimes, ce qui n'en fait pas automatiquement une "gentille".

Voilà, je remercie  @yudithjugla6 pour ce moment de lecture. 

Au début [FERME]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant