- C'est l'une des pires décisions qu'il n'ait jamais prises. Pourquoi veut-il adopter un chien ? On adopte un chien lorsque l'on se sent responsable. Qu'on fait ses courses, que l'on se nourrie à des heures décentes. Pas à 19 ans, alors qu'il se réveille à 16h30 et qu'il sort à peine de chez lui.
Je regarde mon Efferalgan se dissoudre, se transformer en gaz dans mon eau. Lentement, si lentement. Et la voix de Jane me crispe les tympans.
- En même temps, ça le poussera peut-être à sortir un peu plus.
Exaspérée, la blonde repousse ses boucles derrière ses épaulettes, et rapproche son ordinateur vers elle.
Je commence à boire mon médicament qui a un goût amer. Celui du regret.
- Tu es vraiment pâle.
Je repose le verre sur mon bureau sans avoir avalé le liquide en entier et passe une main sur mon front. Comme si je ne l'étais pas habituellement.
Je vois Jane pivoter la tête lentement, et en une fraction de seconde, le brouhaha de l'open space cesse. Il laisse place à un lourd silence entrecoupé de « clac » à la fois régulier et percussif. Je n'ai pas besoin de relever les yeux pour deviner que Mrs Wilson vient de faire son apparition.
Elle et ses cheveux gris tirés dans un chignon parfaitement plaqué faisant claquer ses talons, un bruit qui suffit à lui seul à tétaniser la moitié d'entre nous, je suis presque sûre d'entendre derrière moi, des déglutissements inquiets.
Cette femme est un tyran. Un vrai tyran.
On dit qu'elle a déjà viré une stagiaire parce qu'elle avait fait des impressions en noir et blanc au lieu de couleur. On pourrait croire que tout le monde la déteste si on se fie au bruit de couloirs. La réalité, c'est que tout le monde la craint. Mais tout le monde l'admire un peu. Froide, dure, sûre d'elle, impeccable.
- Les stagiaires, dans mon bureau.
Jane et moi échangeons un regard.
Nous sommes trois stagiaires pour notre pôle, Jane, Leny et moi.
Jane et moi, hochons la tête. Derrière nous, Leny s'étouffe avec sa salive.
Et même après avoir tourné les talons, ni Jane, ni moi ne parlons.
En 2 mois ici, je n'ai fait que des photocopies. J'ai tenu des portes, et amené le café. J'ai échangé des mails... mais c'est tout. Je rêve de construire une carrière dans le monde de la culture, dans le monde de l'art. Work & CO est tellement renommé que j'ai pleuré après avoir passé l'entretien. La plupart des évènements culturels, qu'ils s'agissent de concerts aux expos, passent par ici. Et le renom de l'entreprise est déjà en train d'illuminer mon CV, je le sais. J'y pense dès que je fais couler un café que je ne vais pas boire ou que je sors sous l'averse pour récupérer le journal. C'est pour cela que personne ne se plaint jamais des pratiques douteuses de Mrs Wilson.
Nous rejoignons Mrs Wilson dans son bureau. Celui-ci fait presque à lui seul la taille de l'open space, ainsi que la taille du salon de mon père. Jane et moi dansons un pied sur l'autre, toujours debout. Leny à ma droite, est au bord du malaise. Je le comprends. Mon cœur bat aussi la chamade et les yeux azurs de Jane sont écarquillés comme si à tout moment ils menaçaient de sortir de leurs orbites.
- Asseyez-vous, ordonne Mrs Wilson d'une voix sévère.
Chacun d'entre nous se déplace d'un côté de la table ronde. Jane se retrouvant en face de notre patronne. De ses yeux noirs, la femme aux cheveux gris nous détaille un a un et s'arrête sur moi.
VOUS LISEZ
midnight blue
RomanceSi le hasard n'existe pas, les coïncidences sont parfois bluffantes. Sacha Williams est stagiaire dans une boîte nationalement connue : Work & Co. Elle croise un jour la route de Nans Lows, alors qu'elle est soûle, fatiguée et énervée. Croiser un...