midnight blue

chapitre 2

Nous laissons le silence traîner entre nous quelques minutes et attendons d'être suffisamment loin de l'aquarium de notre patronne pour nous faire face.

- Je ne peux pas le croire.

Jane, pimpante, m'attrape le bras. Moi non plus, je ne peux pas le croire. Aujourd'hui, Jane et moi avons notre première vraie mission. Et je sens le stress se loger dans mon estomac.

Je lui souris.

- Merci pour ce que tu as dit, même si mature et raisonnée....

Elle explose de rire.

- Il faut ce qu'il faut. Au moins ça va te pousser à le devenir maintenant. J'ai hâte de voir ça. J'ai hâte de voir le reste. C'est incroyable. Et puis, Sacha, c'est Nans Lows. Nans Lows, quand même, ce n'est pas rien.

J'aimerai partager son enthousiasme mais quelque chose m'empêche d'être si heureuse. Peut-être parce que je l'ai rencontré, ce Nans Lows, et qu'il était complètement défiguré. Après tout, c'est sûrement lui le cadeau empoisonné. Mais j'ai quand même accepté, pire, je me suis même proposée.

- Tu l'aimes bien ? je lui demande.

Elle me regarde et m'attrape les deux bras pour planter ses billes azur dans mes yeux.

- Tout le monde adore Sacha, c'est Nans Lows après tout.

*

Il faut croire que Jane avait raison, car, depuis que je suis sortie de Work & Co, j'ai commencé à remarquer qu'il était partout. A la radio en passant cherchant Lou au centre commercial de la centrale, sur les affiches des abris bus et même sur Instagram. Mais en même temps, vous savez ce que l'on dit.

Il suffit de posséder une voiture bleue pour ne voir que des voitures bleues.

Je refuse de parler de ma nouvelle mission à Léo et Lou, même s'ils sont mes meilleurs amis. Mon père me l'a souvent répété « si tu vends la peau de l'ours avant de l'avoir tué, il reviendra te chercher ». Autrement dit, je n'ai aucune envie de me porter l'œil. Nous trinquons tous les trois ce soir, et pour moi, nous trinquons un peu pour ça.

En entrechoquant nos verres, Lou déclare :

- Parce que Sacha Williams n'a pas parlé de Paul depuis que nous sommes arrivés. Les bras m'en tombent. Amen.

Léo la bouscule avec son épaule.

- Ce n'est pas parce que tu ne t'ai jamais fait quitter que tu dois être ingrate.

Il passe une main sur son crâne rasé.

- J'ai quitté des gens, c'est tout aussi triste. Et toi non plus tu ne t'ai jamais fait quitter.

- Et ça ne m'empêche pas d'essayer d'avoir de l'empathie.

La blonde, dans son indifférence, roule les yeux.

- Je suis là, et je vous emmerde, je déclare.

Léo me donne un coup de pied sous la table.

- Hé ! J'ai pris ta défense moi.

Je bois une gorgée de ma bière. Elle est amère et froide. Ce qui n'arrange pas mes histoires. L'été part en poussière pour laisser place aux feuilles rouges et jaunes, le temps décline, plus les jours passent, et les températures chutent rapidement. C'est une des raisons pour laquelle je déteste Orléande.

- Bref, je dis simplement. Évitons de parler de... lui.

- Et hier soir ? demande Lou. Je ne t'ai pas vue partir.