3

20 2 4
                                    

La lueur blafarde du matin filtre à travers les volets. Je m’étire, encore engourdi, quand un murmure alarmant me parvient depuis la pièce voisine. Ma mère parle avec quelqu'un d'une voix basse et précipitée, comme si elle craignait que des oreilles indiscrètes les écoutent. Curieux et inquiet, je tends l’oreille, espérant capter quelques bribes de la conversation.

"... un autre a disparu," dit-elle, ses mots presque étouffés par la tension. "Le village entier est en émoi. C'est pire chaque jour..."

Je comprends vite que la situation empire. Des disparitions, encore. Cette fois-ci, il ne s’agit pas d’une rumeur de plus, mais d’un constat qui se répète avec une régularité macabre. Une peur sourde m'envahit. Ce monde ne me laisse aucun répit. J’essaie de calmer les battements affolés de mon cœur, réfléchissant à ce que je pourrais faire pour éviter un destin similaire.

Une idée me traverse l'esprit. Je pourrais suivre les traces des disparus. C’est fou et dangereux, mais si je reste les bras croisés, je risque de perdre l’un des miens, ou pire encore, de me perdre moi-même dans la passivité. Je me redresse discrètement et, sans que ma mère ne me voie, me glisse hors de la maison avec ma dague et le bâton que j’ai taillé hier.

La fraîcheur matinale me mord le visage, me rappelant la réalité brutale de ce monde. Les villageois commencent à se rassembler près de la place centrale, où des discussions animées, teintées d'effroi, résonnent dans l’air. Parmi eux, je repère Kenta. Il se tient un peu en retrait, les bras croisés, écoutant sans participer. Il est plus jeune que la plupart des adultes ici, mais il dégage une présence marquée, comme s’il portait déjà sur ses épaules un poids plus lourd que le mien.

Prenant une profonde inspiration, je m'approche de lui.

"Kenta," murmuré-je en arrivant à sa hauteur, "tu sais ce qui se passe ici, n'est-ce pas ?"

Il me regarde, ses yeux sombres évaluant ma détermination. Après une seconde de silence, il hoche la tête.

"Un démon," répond-il calmement, sa voix posée contrastant avec l'agitation environnante. "Il attaque depuis plusieurs nuits, prenant des villageois sans laisser de traces, comme une ombre."

"Et personne ne fait rien ?"

Kenta laisse échapper un léger soupir, comme exaspéré par mon ignorance.

"Ils ont peur," dit-il. "Les pourfendeurs, eux, n’arrivent pas toujours à temps, et même quand ils sont là, ils ne peuvent être partout."

Ses mots frappent juste. Je comprends l’impuissance de ces gens, coincés entre l’horreur des démons et l’absence de moyens pour les combattre. Mais je ne peux me résoudre à accepter cette fatalité.

"Alors... qu’est-ce qu’on fait ?" demandé-je d’une voix à peine audible, comme si poser la question à voix haute risquait d'attirer un danger invisible.

Kenta hausse un sourcil, un sourire ironique effleurant ses lèvres.

"Nous ?" répète-t-il en insistant sur le mot, son regard scrutant mes intentions. "Tu veux réellement t’impliquer là-dedans ? C’est de la folie."

"Je ne peux pas rester les bras croisés," dis-je, serrant mon bâton et ma dague, comme pour me convaincre de mon propre courage. "Si je veux survivre ici, je dois comprendre comment affronter ces monstres."

Kenta semble réfléchir un moment, puis il acquiesce, comme s'il avait trouvé la réponse en moi.

"Très bien," dit-il enfin. "Alors, suis-moi."

Il se retourne et s’enfonce dans la forêt sans un mot de plus. Je le suis, mon cœur battant d’appréhension et d’excitation. Nous marchons en silence pendant plusieurs minutes, prenant des chemins cachés, longeant des ruisseaux et contournant des racines noueuses. Kenta semble connaître la forêt comme sa poche. Finalement, nous arrivons à une petite clairière, où il s’arrête et se tourne vers moi.

"Si tu veux vraiment te battre contre les démons," commence-t-il, "il te faudra plus qu’un bâton et une dague."

Je déglutis, sentant le poids de ses paroles. Kenta est calme et posé, mais il y a dans son regard une étincelle, une intensité qui me met mal à l’aise.

"Les pourfendeurs utilisent des lames de Nichirin," explique-t-il, traçant un arc imaginaire dans l’air avec sa main. "Des armes forgées spécialement pour tuer les démons. Sans ça, tes chances de survie sont minces."

Je serre les dents. Une lame de Nichirin ? J’ai entendu parler de ces armes légendaires dans les récits de ce monde, mais en obtenir une semble impossible pour quelqu’un comme moi.

"Alors... que fais-tu, toi ?" osé-je demander. "Tu sembles savoir beaucoup de choses, mais tu n’as pas de lame non plus."

Kenta esquisse un sourire en coin.

"Je m’entraîne, comme toi. Et surtout, j’observe. Comprendre les démons, leurs habitudes, leurs faiblesses, c'est aussi important que d'avoir une arme."

Ses mots résonnent en moi. Il a raison. Pour affronter ces créatures, je ne peux pas seulement compter sur la force brute ou une arme spéciale. Je dois apprendre à anticiper leurs mouvements, à comprendre leur nature pour mieux les combattre.

"Alors... par où commence-t-on ?" demandé-je, déterminé.

Kenta s'accroupit et trace une ligne sur le sol avec un bâton.

"Les démons n’aiment pas la lumière du jour, donc ils agissent surtout la nuit. Ils se déplacent rapidement, sans bruit, mais leur présence est toujours accompagnée d’une sensation étrange, comme un froid qui te prend aux tripes. Si jamais tu ressens ça, cours. Ne te bats pas, ne joue pas les héros."

Je hoche la tête, enregistrant chaque mot comme une leçon précieuse. Kenta semble avoir une expérience que je n’aurais jamais soupçonnée pour quelqu’un d’aussi jeune. Il continue de m’expliquer les rudiments de la survie dans ce monde : les signes annonciateurs d'une attaque, les cachettes possibles dans la forêt, et comment repérer les traces laissées par les démons.

Les heures passent, et je me rends compte qu'il m’a donné bien plus qu’une leçon. Il m’a offert un premier aperçu de ce que pourrait être ma vie ici, si je choisis de ne pas céder à la peur.

Alors que le soleil commence à décliner, je le remercie d’un signe de tête. Il me répond par un simple hochement, avant de reprendre le chemin vers le village.

En rentrant, mon esprit bouillonne d'idées et de plans. Ce monde est bien plus complexe que je ne l’avais imaginé, mais je sens que je suis prêt à affronter ce qu'il me réserve. Ma vie d’avant me paraît de plus en plus lointaine, et je réalise que chaque jour passé ici efface un peu plus le souvenir de mon existence précédente.

Je serre ma dague une dernière fois avant de la ranger, prêt à plonger plus profondément dans les mystères de ce monde, et surtout, prêt à faire face aux ténèbres qui l’habitent.

Je suis dans KNYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant