J'etais minable

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Les projecteurs sont aveuglants, braqués sur moi comme si je tenais le monde entier sous leur lumière. La foule est en délire. Des cris hystériques, des applaudissements, et les flashs incessants des téléphones qui capturent chaque instant. Je me tiens là, au centre de la scène, avec cette assurance que je n'ai jamais réellement eue. Mes muscles, parfaitement dessinés sous l'éclat des spots, brillent comme si mon corps avait été sculpté pour ce moment. Les fans tendent leurs mains, hurlent mon nom, surtout les femmes. Leurs voix s'élèvent comme un chant d'adoration, et moi... je parle, confiant, charismatique, intouchable.

Et puis, l'alarme stridente de mon réveil me ramène à la réalité. Je cligne des yeux, ébloui non pas par des projecteurs, mais par la lumière grise qui filtre à travers le rideau déchiré de ma petite fenêtre. 7 heures. Encore ce rêve. Encore ce foutu rêve. Je me tourne sur mon lit une place, bien trop petit pour ma taille, le matelas affaissé me donnant l'impression de dormir sur des rochers. Mon appartement est encore plus minable : murs défraîchis, plomberie qui fuit, odeur d'humidité omniprésente.

Je soupire, épuisé avant même d'avoir commencé ma journée. J'attrape mon téléphone, espérant un miracle dans mes mails. Peut-être une réponse à une audition ? Mais rien. Toujours rien. Les "Merci pour votre candidature, mais..." se sont faits rares, remplacés par un silence qui semble hurler mon échec. Je fais défiler mes réseaux sociaux, et même là, c'est le vide. Pas un seul like sur ma dernière photo, même pas de mes amis. Suis-je si mauvais ? Est-ce que je ne vaux rien ?

Je finis par me lever, traînant des pieds jusqu'à ma pile de vêtements bon marché. Je m'habille rapidement et quitte mon appartement, direction le métro. Comme chaque matin, c'est la même galère : je m'accroche à la barre poisseuse, entouré d'inconnus entassés comme du bétail. L'odeur de pisse et de sueur m'attaque les narines. Un SDF vient me demander de l'argent. Je détourne le regard. Pas parce que je ne veux pas l'aider, mais parce que je n'ai moi-même pas assez pour manger correctement.

Je sors discrètement une petite boîte de pastilles. Juste une ou deux pour rester éveillé. Je sais que c'est mauvais, que ma peau en souffre déjà, mais je n'ai pas le choix. Si je m'effondre, je perds tout.

Quand j'arrive enfin au bar où je travaille, l'ennui m'assomme avant même de franchir la porte. C'est un endroit miteux, avec des murs sales et une clientèle presque inexistante en journée. Mon patron, un homme grassouillet et désagréable, m'attend déjà.

« T'es en retard, encore ! » grogne-t-il en croisant les bras.

Je serre les dents. « Il est 7h58, j'ai deux minutes d'avance. »

« Pas pour moi ! Allez, prends un torchon et nettoie les tables avant l'ouverture. On dirait qu'un rat est mort là-dessus. Et fais gaffe, si tu casses encore un verre, c'est sur ta paie que je le déduis. »

Je m'exécute en silence, réprimant l'envie de lui envoyer le torchon au visage. Ici, je fais tout. Je nettoie, je sers, je réponds aux clients, je range, et je subis. Et tout ça pour un salaire minable. Pendant les heures creuses, je m'assieds derrière le comptoir, luttant contre l'ennui. Parfois, je me dis que j'aurais dû devenir ingénieur. Ce n'était pas mon rêve, mais au moins, je n'aurais pas fini dans cet enfer.

Vers 15 heures, alors que le bar est désert, la porte s'ouvre, et une femme entre. Elle est différente de tout ce que j'ai vu ici. Lunettes noir et blanc, cheveux noirs impeccablement coiffés en brushing, robe noire élégante qui crie richesse. Elle semble bien trop sophistiquée pour un endroit pareil.

Elle s'assoit au comptoir sans un mot, mais je me lève immédiatement. C'est mon rôle, après tout.

« Bonjour, que puis-je vous servir ? »

Elle tourne légèrement la tête vers moi, ses lunettes glissant un peu sur son nez, révélant des yeux perçants. « Un whisky. Double. »

Je hoche la tête et me rends rapidement au bar pour préparer son verre. Mais je sens son regard. Elle m'observe, presque trop attentivement, et ça me met mal à l'aise. Je reviens avec son whisky et le pose devant elle.

« Merci, » dit-elle d'une voix calme, presque hypnotique. Elle prend une gorgée avant de briser le silence. « C'est plutôt vide, ici. »

Je souris nerveusement. « Oui, à 15 heures, on ne voit pas grand monde. Et encore moins des personnes habillées comme vous. »

Elle esquisse un sourire subtil. « Alors, qu'est-ce qui vous amène ici ? Vous travaillez pour payer vos études ? »

Je secoue la tête. « Non, je n'étudie plus. J'ai tout arrêté pour devenir célèbre. C'est stupide, je sais, mais comme on dit : réussir ou mourir. »

Son intérêt semble soudain s'éveiller davantage. « Intéressant. Montrez-moi. »

« Montrer quoi ? »

« Votre art. Vos histoires. Ce pour quoi vous avez tout arrêté. »

Hésitant, je sors mon téléphone et lui montre quelques vidéos que j'ai créées. Elle les regarde avec une concentration déconcertante.

« C'est amateur, je sais, » dis-je en grattant ma nuque. « Je n'ai pas de budget. »

Elle repose le téléphone et se lève lentement, ses gestes empreints de mystère. « La plupart des gens ne se méfient pas de ce qui n'existe pas. Et sans peur, il n'y a pas d'amour. Vous, vous n'existez pas. »

Je reste figé, perplexe, alors qu'elle sort une carte noire de son sac, la tenant délicatement entre deux doigts. Elle la pose sur le comptoir.

« Appelez ce numéro, » dit-elle avant de se retourner et de s'éloigner avec la même élégance hypnotique. Une Rolls Royce noire l'attend dehors. Elle monte à l'intérieur et disparaît.

Ce n'est qu'après son départ que je réalise : elle est partie sans payer. Déstabilisé, je fixe la carte sur le comptoir. Dessus, en lettres blanches, on peut lire : Symbole™, suivi d'un numéro de téléphone.

Un frisson me parcourt. Quelque chose en moi me dit que je devrais jeter cette carte, l'oublier. Mais mes doigts tremblent déjà en la saisissant.


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