Lukyan SokovolLa neige tombait lentement, un voile blanc recouvrant le monde, effaçant toute trace de vie et de chaleur. Le vent glacial fouettait ma peau, pénétrant à travers mon manteau, comme si même la nature cherchait à m'arracher toute humanité. Les barbelés autour du camp vibraient sous les bourrasques, produisant un bruit métallique aigu qui résonnait dans l'air. Les grilles rouillées, les murs de bois usés, les gardes aux visages figés et sans expression, tout respirait la répression.
Je marchais dans la neige, mes pas lourds, mes pensées aussi. Lukyan Sokovol, officier adjoint du goulag. Je n'étais qu'une petite pièce de cette machine implacable. Je faisais ce qu'on attendait de moi. Obéir. Sans question. Sans réflexion.
En m'approchant des prisonniers qui travaillaient à dégager la neige, j'entendis leurs souffles rauques, leur peine palpable dans chaque mouvement. Je savais ce que c'était que d'être là, dans ce froid, dans ce silence écrasant. Mais ce n'était pas mon rôle de les comprendre. Pas aujourd'hui.
Je m'arrête près d'eux et lance d'un ton sec :
– Dégagez ce passage ! Si vous ne le faites pas correctement, vous n'aurez pas de repas ce soir. Vous avez compris ?
L'un des hommes, un vieux à la barbe grise, relève la tête et me fixe d'un regard empli de haine. Il respire fort, la neige tombant autour de nous dans un silence lourd. Il n'ose pas répondre tout de suite, mais son regard en dit long.
– Vous nous traitez comme des animaux, murmure-t-il entre ses dents.
Je le regarde, impassible.
– Si vous voulez vivre, vous obéissez. Pas d'autre option.
Il baisse les yeux, se remet au travail, mais je sais qu'il me maudit intérieurement. J'avance un peu, mes bottes traînant dans la neige, et je continue à observer les autres prisonniers qui s'activent, parfois lentement, parfois dans une frénésie désespérée. Les hommes qui travaillaient dehors comme des bêtes, les femmes et les enfants à l'intérieur, à peine mieux traités.
Un jeune homme, à peine plus âgé que moi, se tourne vers moi, épuisé, les mains rouges et gonflées. Il essaie de me cacher sa douleur, mais j'en vois chaque détail.
– Pourquoi vous faites ça ? demande-t-il d'une voix rauque. Pourquoi nous faire ça ?
Je m'arrête, le regardant. Je sais ce qu'il attend. Il cherche une raison, une justification. Mais tout ce que je peux lui offrir, c'est mon silence.
– C'est mon travail, dis-je enfin, avec une froideur dénuée d'émotion. Je fais ce qu'on me dit.
Le jeune homme hoche la tête, sans dire un mot de plus, et retourne à son travail. Je vois la résignation sur son visage. Peut-être qu'il se dit qu'il n'a plus rien à attendre. Peut-être qu'il est déjà mort à l'intérieur, comme tous les autres ici.
Je me tourne alors vers un autre groupe de prisonniers, ceux qui peinaient à dégager les grilles. L'un d'eux me jette un coup d'œil furtif, mais je ne dis rien. Je les surveille un moment, puis leur crie à nouveau :
– Dépêchez-vous ! Si le passage n'est pas dégagé avant la fin de la journée, vous ne mangerez rien !
Un autre prisonnier, plus âgé, me regarde fixement et marmonne pour lui-même :
– Là où vous êtes, ça va bientôt devenir pire pour vous aussi.
Je fronce les sourcils, me préparant à répondre, mais je me retiens. Il n'a pas tort, quelque part. Personne ne peut rester indemne dans ce camp, pas même nous, les gardes. Mais je me tais et je les laisse continuer, sachant très bien qu'aucun d'eux ne va me défier ouvertement. Leurs voix se perdent dans le vent, tout comme leurs espoirs.
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Sous la neige
RomanceDans les neiges hostiles de Sibérie, un officier du régime soviétique croise la route d'une prisonnière, ancienne danseuse étoile emprisonnée pour des idées qu'elle n'a jamais défendues. Fasciné par sa grâce et sa résilience, il se rapproche d'elle...