Scarlett : Quand rien ne se passe comme prévu

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La sonnerie du four à micro-onde retentit et fait sursauter le jeune homme roux à ma droite. Il rougit, m'offre un sourit gêné puis baragouine quelques mots que je ne saisis pas avant de quitter sa chaise. Il traverse alors le salon et disparaît par la porte de ce que j'imagine être sa cuisine, me laissant seule sous le regard interrogateur de sa petite sœur, Ambre.

Les bras croisés devant son assiette, ses longs cheveux rougeoyant retombant sur ses épaules et vêtue d'un pyjama aux motifs de chouette, elle me scrute. À vrai dire, elle ne m'a pas quitté des yeux depuis que je suis entrée.

Creepy...

— Comment tu as dit que tu t'appelais ?

— Scarlett.

J'articule simplement mon nom, espérant satisfaire sa curiosité.

— Tu as une jolie voix, enchaine-t-elle, d'où vient ton accent ?

J'ouvre la bouche pour lui répondre mais le visage sévère de mon mentor apparaît dans mes pensées. Si une oreillette me reliait à lui, je sais qu'il me soufflerait de mentir. C'est l'une des premières choses qu'il m'a enseigné : je dois toujours préserver mon identité. Mais un océan, et plusieurs milliers de kilomètres nous séparent alors je n'ai pas d'autre choix que de faire sans ses conseils et ses regards noirs.

De toute façon, ce qu'il ne sait pas ne peut pas le mettre en colère. N'est-ce pas ?

Alors, sans plus attendre j'explique à l'adolescente que je suis née en Angleterre et que j'y ai passé de nombreuses années avant de terminer mon cursus universitaire aux Etats-Unis, ce qui n'est pas tout à fait un mensonge. Impressionnée, elle reste béate quelques secondes avant de me faire passer un véritable interrogatoire sur la culture anglaise, mon éducation, les villes que j'ai visité et mon parcours scolaire qui me mène jusqu'à elle.

Elle s'agite et parle de plus en plus vite. Je suis obligée de lire sur ses lèvres pour assimiler tout ce qu'elle me demande. C'est à peine si elle reprend son souffle et sa voix aiguë me donne mal au crâne.

Ne sachant ni par où commencer ni quoi dire pour ne pas mettre davantage en péril ma couverture, je choisis méticuleusement les questions auxquelles je réponds :

— J'ai habité à Londres jusqu'à mon entrée à l'université. J'avais envie de voyager donc j'ai préféré partir à Columbia pour étudier les langues et le journalisme. Si je suis arrivée jusqu'ici c'est parce que j'avais besoin de faire un stage à l'étranger pour valider mon diplôme et que j'ai toujours rêvé de venir en France.

Quelques fausses vérités accompagnées qu'une poignée de véritables détails. Personne n'ira vérifier.

— Tu parles vachement bien français ! Conclut-elle avec des étoiles dans les yeux.

— Merci beaucoup.

Flattée, je lui réponds avec un grand sourire.

Je me mords ensuite l'intérieur de la joue pour m'empêcher d'ajouter que je maîtrise également à la perfection l'italien, l'espagnol, le chinois ainsi que le russe parce que je serais dans l'obligation de lui expliquer comment je les ai apprises et ça, c'est une très mauvaise idée.

Pendant qu'elle se met à réfléchir à quel sujet rocambolesque elle va évoquer ensuite, je jette un coup d'oeil à mes affaires qui sèchent du mieux qu'elles peuvent, pendues sur le balcon, de l'autre côté du salon. Voir ma robe en tweed Channel dégouliner de la sorte me fait presque monter les larmes aux yeux. Je me fais violence pour ne pas m'attarder sur mes escarpins que les maudits pavés des rues ont rendu si sensibles.

Il y a quelques heures, je ne savais même pas placer cette ville sur une carte. Comment aurais-je pu imaginer qu'il y ferait un temps aussi exécrable et que ses habitants avaient pour habitude de faire prendre des douches gratuites aux passants ?! Il n'y avait rien de tout ça sur internet...

Mon téléphone vibre sur le coin de la table, me sortant de mes pensées. Comme je peux m'y attendre, c'est une photo de Michael Stones qui apparaît sur l'écran. Je roule des yeux. C'est au moins le dixième message que je reçois depuis que je suis descendue de l'avion. Je vois que la confiance règne !

Michael est un très bon ami de ma famille, c'est pourquoi mon père a eu la brillante idée de faire de lui mon mentor. Je suis donc son apprentie. Ou ce qui s'en rapproche le plus : sa stagiaire. Au fil des mois puis des années, il m'a apprit tout ce que je sais. Ça n'a pas toujours été facile. La preuve, il n'était pas ravi à l'idée de m'envoyer sur le terrain pour ma première mission en solo. Il faut dire que nous fonctionnons un peu comme le chaud et le froid.

L'un ne va pas sans l'autre et pourtant la présence de l'un annule les effets de l'autre ...


Mr M : As-tu fini de m'ignorer, sale gamine ?

Es-tu arrivée à bon port ?


Moi : affirmatif Mickey !


Contre toutes attentes, il déteste le surnom ridicule dont je l'ai affublé lorsque j'étais enfant. J'ai l'interdiction de l'employé quand nous sommes dans un lieu public, en entretien avec des clients, pendant mes heures de cours, en compagnie de ses employés, en présence de mon père et même par téléphone. En fait, je n'ai pas le droit de l'appeler comme ça tout court. Mais c'est trop amusant de le mettre en rogne et de l'imaginer rouspéter derrière son écran.


Mr M : Ne perds pas ton temps avec des idioties.

Tu as moins d'un mois devant toi.


Moi : Ne t'en fais pas, je gère la situation.

XOXO.


Mr M : C'est bien ce qui m'effraie.

Je veux ton premier rapport demain soir.


Son ordre met fin à la conversation me permettant de passer sous silence les premières mésaventures de mon voyage.

Je quitte mon portable des yeux, croisant ceux d'Ambre qui s'apprête à me poser une nouvelle question lorsqu'elle est interrompue par un bruit sourd qui s'échappe de la cuisine. Quelque chose qui tombe et qui se brise. Un juron qui fuse puis un autre. Un nouveau bruit sourd puis un soupir. Je fronce les sourcils.

What the fuck ? Il est en train de se battre avec le diner ou quoi ?

— Est-ce que tout ...

— C'est comme ça tout le temps, me coupe Ambre en haussant les épaules, ne t'inquiète pas pour lui.

— Je vais bien ! Hurle une voix lointaine que j'ai encore du mal à identifier. J'ai eu un petit accrochage avec le plat ... Des nouilles instantanées, ça va à tout le monde ?

L'adolescente pouffe puis m'offre un clin d'oeil et un sourire entendu. Je n'ose pas lui souffler que je n'en ai jamais mangé et que je ne sais pas ce que c'est mais mon petit doigt me dit que ça n'a rien à voir avec un plat du Ritz que j'espérais gouter à mon arrivée en France ... Avec un peu de chance, j'arriverais à faire un aller-retour à Paris sans que Mickey ne s'en aperçoive. En attendant, j'observe Ambre charrier son frère en lui intimant de ne pas faire bruler ses pâtes avec un air à la fois moqueur et bienveillant.

Well, si tous les français sont aussi spéciaux que ces deux là, cette mission ne ressemblera à rien de ce que je m'étais imaginée.

Les Vilains ne portent pas de LouboutinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant