Première Partie

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Il est là, il se dresse devant moi. Ce n'est qu'une silhouette dans l'obscurité, mais je peux percevoir ses yeux rouge sombre. Ils me fixent. Ses prunelles de sang sont plantées dans mes yeux bruns, sans ciller, comme s'il attendait que je me dérobe et m'enfuie. Mais si la vie m'a bien appris une chose, c'est qu'il ne faut jamais fuir devant un prédateur. Qu'il vous ait pris en chasse ou non, il attend toujours un signal silencieux. Un signal pour fuir, ou pour attaquer... Et après des années à faire le même rêve, j'attends toujours ce signal, un geste de la part de la bête. Mais jamais elle n'a bougé.

Un grognement sourd s'élève du fond de sa gorge, roule dans le silence en faisant trembler l'atmosphère entière. Ses crocs d'ivoire luisent dans l'obscure clarté que dégagent les filles de la nuit, plus étincelants que la surface d'un océan, si bien que je doute presque de leur réalité. Mais la lueur qui les fait briller n'atteint pas ses yeux : le reste de son être est plongé dans les ténèbres. Je peux néanmoins deviner un corps, une "suite" au tableau, quelque chose que le peintre n'a pas trouvé utile de raconter. Mais ce quelque chose, j'en ai besoin. J'en ai besoin pour comprendre d'où vient cette étincelle d'intelligence qui anime son regard sans permettre de comparer cette créature à un être humain. J'en ai besoin pour comprendre pourquoi cette chose me visite à peine ai-je les yeux fermés. Mais mes pensées sont chassées quand, bientôt, dans ce regard de sang brillent les flammes d'un incendie. Je m'y attends, mais les cris déchirants, totalement inhumains me glacent le sang. Je me raidis devant la lueur triomphale qui danse dans les yeux de la bête. Mes membres me semblent prêts à se dérober quand il me sourit, lentement, très lentement, comme s'il allait achever en déclarant d'une voix moqueuse "Au revoir, Lanawyn.". Mais ce n'est pas qu'une impression, il le dit. Mes yeux s'écarquillent, les flammes le masquent à ma vue. Je trépasse ? Je ne sais pas. Je me réveille.

Dans un sursaut, dans un bond, je me redresse dans mon lit, le coeur fou, le souffle démesuré. Ma mère est là, elle m'attrape la main avec un regard désolé, comme chaque fois que je me réveille de ces cauchemars. Comme chaque nuit. Je frissonne, l'interroge du regard.

- Je t'ai entendue crier, Lesly... Encore ces cauchemars ?

Je hoche la tête, mais ce n'était pas vraiment une question. Elle soupire, se relève.

- On ira voir le Docteur Campbell, ça ne peut plus durer.

Dis encore que tu me crois folle, maman. Je ne réponds pas, elle sort sans un mot. Je me laisse retomber sur mon oreiller, mais c'est trop tard. Je ne trouverais plus le sommeil. Je passe le reste de la nuit à me tourner et me retourner dans mes draps, ressassant sans cesse le rêve de tout à l'heure. "Au revoir, Lanawyn." Qui est-elle, cette Lanawyn ? Pourquoi ai-je hérité de ses rêves, ou de ses souvenirs ? Mais le Docteur m'avait prévenue que, parfois, les gens comme moi se créent des souvenirs. Ils se manifestent sous diverses formes, mais peut-être que, malgré mes tentatives pour leur dire que je vais bien, mon amnésie prend des formes plus complexes que je ne le pensais.

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⏰ Dernière mise à jour : Jul 20, 2015 ⏰

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