Elle fut jetée dans le monde. Certains disent que c'est une cigogne qui la portait dans son bec et qui l'a lâchée là. D'autres disent que ce sont des salades ; mais ça n'a aucun sens car les salades n'ont pas de bec. De toute manière, celle qui venait d'être jetée dans le monde n'en avait rien à faire. Peu lui importait de savoir comment elle était arrivée là ; elle avait des problèmes plus immédiats. Elle était là ; jetée dans le monde, seule et incapable de se débrouiller. Elle ne savait rien faire, ou presque. C'était un bébé. Elle pouvait juste émettre quelques sons, et bouger les différentes parties qui composaient son petit corps potelé.
Comme elle ne pouvait rien faire d'autre, elle essaya de faire ça, autant qu'elle le pouvait. Elle s'agita dans tous les sens, pendant un court moment qui lui sembla très long. Elle remua les bras dans toutes les directions, puis les jambes ; tout en criant, puis en pleurant. Il semble qu'elle finit par trouver la bonne combinaison de mouvements et de sons pour que ses actions déclenchent un effet magique : un adulte apparut.
Elle comprit tout de suite que cet adulte était le sien. Apparu grâce à elle et pour elle, il lui donna à boire. Elle se sentit tout de suite plus calme, et moins effrayée. Il lui caressa ensuite le bout du nez. Elle se sentit alors complètement en sécurité. Elle n'était plus seule au monde. Son adulte lui parlait, mais elle ne comprenait pas tout ce qu'il lui disait. C'était comme une chanson, dans laquelle le mot « Prunelle » revenait tout le temps. Elle finit par comprendre que c'était son prénom. Puis elle s'endormit, bercée par les mots de son adulte et par l'amour qu'il envoyait vers elle.
C'est ainsi que l'histoire de Prunelle débuta ; exactement comme celle de la plupart des êtres humains. Quand à savoir pourquoi c'est d'elle que j'ai choisi de vous parler ; nous en rediscuterons plus tard. Il fallait que ce soit une enfant, c'est certain. Une enfant ou un enfant, peu m'importe, mais pas un adulte. Enfin, il y a peut-être quelques adultes qui auraient aussi pu faire l'affaire, mais ils sont rares. Les enfants, eux, naissent tous avec ce qu'il faut pour comprendre. Et cette histoire est, je crois, à propos de compréhension. Mais avant que Prunelle ne puisse vraiment comprendre, il fallait quand même qu'elle grandisse encore un peu.
Pendant des jours et des jours, l'adulte prit soin de Prunelle. Mais il ne comprenait pas tout, lui non plus. Il faisait de son mieux pour essaye pourtant ; elle le voyait bien. Elle agitait la main pour le saluer, et il lui donnait encore à boire ce liquide blanc dont elle était déjà rassasiée. Elle secouait les jambes en criant pour signifier qu'elle voulait se promener, et il la mettait dans une petite cage à barreaux. Elle ouvrait la bouche pour essayer d'émettre des sons comme lui le faisait, mais il croyait qu'elle baillait et la prenait dans ses bras pour essayer de l'endormir.
Au début, Prunelle croyait qu'il le faisait exprès pour l'embêter. Au fil du temps, elle comprit que c'était juste qu'il ne comprenait pas. Les mouvements et les sons qu'elle émettait ne déclenchaient pas toujours les effets souhaités. Comme Prunelle ne voulait pas douter de ses pouvoirs magiques, elle en conclut que son adulte était défectueux. L'adulte n'avait pas toujours les bonnes réactions. Ce n'était pas si grave au final, car, comme il essayait toujours, sans jamais abandonner, Prunelle finissait quand même toujours par avoir ce qu'elle voulait.
Des semaines et des mois passèrent. L'adulte de Prunelle s'améliora. Il la comprenait de mieux en mieux, et il chantait des chansons de plus en plus amusantes. Prunelle finit par réaliser qu'il n'était pas là que pour répondre à ses besoins en nourriture et en caresse. Non, il était aussi là pour la divertir. Elle apprit la différence entre une chanson et une histoire. Elle se mit à rire des formes étranges que le visage de son adulte prenait parfois, ainsi que des variations de sa voix. Elle ne savait toujours pas pourquoi la cigogne (ou les salades) l'avait jetée dans ce monde, mais elle trouvait que c'était un endroit plutôt chouette.
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Du n'importe quoi qui m'importe
Fiction générale"Elle fut jetée dans le monde. Certains disent que c'est une cigogne qui la portait dans son bec et qui l'a lâchée là. D'autres disent que ce sont des salades ; mais ça n'a aucun sens car les salades n'ont pas de bec. "