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A chaque fois que Prunelle parlait à son adulte, c'était comme ça. D'un côté, elle apprenait de nouvelles choses et, de l'autre, elle augmentait sa liste infinie de questions sans réponses. Plus elle lui parlait, et plus il y avait de choses qu'elle comprenait. Mais plus elle lui parlait, et plus il y avait aussi de choses qu'elle ne comprenait pas. Malgré tout, elle choisit de lui faire confiance. Après tout, il avait dit la vérité pour les animaux : il y avait des doudous qui existaient vraiment en vrai. C'est vrai qu'il avait aussi dit très souvent que les vrais animaux étaient plus grands que les doudous alors que, pour la coccibeille au moins, c'était tout l'inverse. Mais il y avait vraiment des animaux vivants, semblables en tout point aux jouets apportés par le Lutin Lionel.

Il fallait lui faire confiance, dans tous les cas. Elle n'avait pas le choix, car, sinon, le monde serait beaucoup trop incompréhensible. Un jour on lui disait que les animaux étaient merveilleux et qu'il fallait les protéger, le lendemain on en tuait un devant elle. Apparemment, il fallait comprendre qu'il y avait des exceptions. Il y avait toujours des exceptions à tout, c'était si complexe ! Les animaux sont merveilleux mais, quand ils mettent en danger un humain, ce n'est plus si important que ça. C'est la leçon qu'il fallait retenir, apparemment. Mais ça ne faisait pas totalement sens pour elle. Le monde était si dur à comprendre.

Son adulte était là depuis des années et des années. Il avait eu le temps de découvrir les règles, les exceptions et les subtilités. Il savait mieux qu'elle, assurément. Si elle ne comprenait pas ce qu'il faisait et ce qu'il faisait, c'était parce qu'il savait mieux qu'elle. S'il ne semblait pas toujours logique, c'est parce qu'il avait accès à une pensée plus complexe et nuancée. C'est en tout cas ce que Prunelle choisit de croire, ce jour là. Elle aurait pu continuer de se dire que son adulte était défectueux mais, alors, le monde lui aurait paru bien trop dangereux. Elle préféra lui faire confiance.

Elle lui fit confiance en continuant à l'aimer malgré son meurtre, et en choisissant d'accepter qu'il n'était pas un horrible monstre mais qu'il avait eu une bonne raison de tuer la coccibeille (même sans comprendre laquelle). Elle lui fit confiance aussi en continuant à croire qu'il l'aimait et qu'il avait une bonne raison de la quitter si souvent, même si elle ne comprenait pas les raisons qu'il lui donnait, et qu'elle était certaine que c'était les mauvaises. Néanmoins, elle lui faisait assez confiance pour croire qu'il l'aimait quand même, et qu'il avait probablement une bonne raison d'agir ainsi.

C'était dur pour elle de faire confiance sur des choses comme ça ; des choses qu'elle ne comprenait pas. Il fallait accepter qu'elle ne pouvait pas tout comprendre pour le moment, mais que rien de ce qu'elle ne comprenait pas ne devait remettre en question le fait que son adulte était quelqu'un de bon et aimant. Il y avait d'autres choses sur lesquelles c'était beaucoup plus facile de faire confiance à son adulte, comme par exemple le Lutin Lionel. Certains enfants disaient qu'ils n'existaient pas, mais Prunelle savait que, là dessus, c'était son adulte qui avait raison. En plus, tous les adultes parlaient du Lutin Lionel en disant la même chose sur lui. Il ne pouvait donc qu'exister, car il serait incroyable que tous les adultes se trompent en même temps. Et puis, les doudous étaient une vraie preuve de son existence. Sur des choses comme ça, c'était facile de tenir tête aux autres enfants et de défendre son adulte. Mais sur les choses que Prunelle ne comprenait pas, c'était beaucoup plus difficile, parce qu'il fallait se contenter de croire.

Malgré sa confiance, Prunelle choisit de continuer, toujours, à demander toujours des comptes et des explications, à son adulte comme à n'importe qui d'autre. Pas parce qu'elle se méfiait ; mais pour apprendre elle aussi. Prunelle comprenait qu'un jour elle devrait, elle aussi, devenir adulte. Et il semblait y avoir tant de choses à apprendre ! Tant de choses qui, aujourd'hui, ne faisaient aucun sens pour elle mais qui semblaient limpides pour son adulte. Il avançait dans le monde d'un pas si assuré, parlait de tout avec tant de certitudes. Comme ce serait merveilleux, un jour, de devenir comme lui et d'évoluer dans un monde qui ferait enfin sens. Comme ce serait merveilleux, un jour, d'être celle qui pourrait expliquer le sens du monde à un plus petit qu'elle.


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Du n'importe quoi qui m'importeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant