Chapitre 1.

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ESTHER


Le blanc est la plus belle couleur de toutes.

La couleur du reflet sur les vagues, la couleur du propre, de la perfection, du pur. La couleur de la neige, du soleil qu'on regarde avec les yeux plissés. Moi, je ne regarde ni les vagues, ni le soleil, ni la neige. Juste les murs. 

C'est au moins la trentième fois que je me fais cette réflexion. Oui, le blanc est la plus belle des couleurs ; sauf quand c'est la seule que vous avez vu depuis des mois.

Je me tourne sur le côté, engourdie, pour fixer la porte - blanche. La poignée et les gonds sont blancs eux aussi. Le mur qui entoure le battant est sans doute blanc, mais j'ai fini par me convaincre qu'il était légèrement beige quand même. Sinon je serais devenue folle. Parce que bien que je sois dans cette chambre d'isolement psychiatrique, je ne suis pas une dingo.  

Je ne suis pas folle. Je ne suis pas malade. Je ne veux juste pas vivre. 

Mais ça, c'est dur à comprendre, c'est un paradoxe que les médecins et leurs dix ans d'études n'arrivent pas à contrôler. Alors voilà mon étiquetage : dépression chronique résistante aux traitements. Je n'ose pas dire à mon psychiatre que si ça résiste au traitement, ce n'est peut-être pas une dépression ; j'ai peur de le vexer.  Donc je fais ce qui m'arrange, c'est-à-dire ne rien dire et me laisser faire. Je me laisse vivre. Ou plutôt mourir. 

La porte de ma chambre s'ouvre lentement et la première chose que j'aperçois est le couloir. Je vous vois venir, hein. Moi aussi j'ai espéré au début qu'il soit bleu ou vert, mais non, il est blanc aussi. Blanc cassé, en fait. 

- Esther, tu as de la visite tout à l'heure. 

C'est l'infirmière qui vient me donner mon traitement, car je suppose que c'est le matin. Elle porte une blouse. Je n'ai pas besoin de vous préciser de quelle couleur elle est, cela va de soi, et j'avale mes médicaments. 

Peut-on mourrir d'un manque de couleur ? Je pourrais être le premier cas de décès par overdose de blanc. 

- C'est quoi, cette visite ? je demande. 

Elle me donne un plateau avec un bol de café fumant. Alors, effectivement, les repas sont la seule source de couleur de la journée... Mais bon, une fois mangées, elles ont disparu, ça ne dure jamais longtemps. 

- C'est un de tes amis, qui te cherche depuis longtemps. Il nous a dit qu'il avait appris récemment que tu étais là. Ce sera la surprise ! 

L'infirmière quitte la chambre et je fixe mon café en me demandant quel ami pourrait avoir appris que j'étais ici, car je n'en ai pas des masses. Ils venaient au début, beaucoup moins maintenant. Mais peu importe. Parce que ça veux dire que pour une poignée de minutes je vais pouvoir quitter ma chambre. Voir des gens, voir le monde autour de moi. Et ça n'a pas de prix quand on est enfermé 24/24h dans une chambre tapissée de blanc, sans fenêtre, sans toilettes, sans occupation.

Je me recouche une fois mon café avalé, car il n'y a rien d'autre à faire qu'attendre ma visite. Je dors un peu, jusqu'au repas du midi - des pâtes avec de la viande. Et une autre sieste plus tard, je décide de me lever pour marcher un peu. C'est mon sport du jour. Je fais le tour de ma chambre exactement 37 fois : mon psychiatre dit que c'est un TOC mais il se trompe. Je veux juste éviter la phlébite et les escarres. 

La porte se rouvre, c'est une aide-soignante. Celle que j'aime bien, et qui met toujours un point d'honneur a avoir un grand sourire. Les clés tintent sur la serrure.

- C'est l'heure de ta visite. Tu as trente minutes, d'accord ? 

- D'accord, merci. 

Elle m'accompagne à travers les couloirs et je savoure la lumière naturelle du soleil dehors. Je On est en hiver, enfin c'est le début je crois, et il y a ce soleil froid de fin novembre. Qu'est-ce que c'est beau. Je savoure aussi de pouvoir marcher librement, sans avoir le tournis au bout du huitième tour de chambre. On tourne enfin à gauche, puis l'aide-soignante pose la main sur la poignée de la salle de visite. 

- Bonnes retrouvailles avec ton ami. À tout à l'heure ! 

Je souris faiblement avant qu'elle n'ouvre la porte et que je rentre. J'entends le battant se refermer quelques secondes après et je fais deux pas en avant, pas très sûre de moi. 

Parce que la seule personne présente dans la pièce est un homme que je ne connais pas. 

Il est assis à une table au fond de la pièce. Lui aussi doit se rendre compte que je ne suis pas la bonne personne, car il me fixe. Je détourne le regard, prête à faire demi-tour. J'avoue être un peu confuse. J'ai du mal à savoir si c'est parce que je n'ai pas été confronté à ce genre de situation, ou si c'est les médicaments qui font toujours effet. Peut-être que c'est une erreur, peut-être que ce n'était pas l'endroit de ma visite, en fin de compte. 

Mais l'homme se lève en me voyant me retourner.

- Esther ? 


JOURS SANS FINWhere stories live. Discover now