Le matin se levait sur Saint-James, et Gono se réveillait en même temps que la ville. Le ciel était d'un bleu pâle, presque transparent, et l'air frais faisait naître un frisson sur sa peau. Elle se leva lentement, les bras tendus vers le plafond, en tentant d'étirer ses muscles encore endoloris par le matelas trop étroit de la chambre de son oncle. Depuis qu'elle était arrivée ici, tout semblait figé, comme si le temps ne passait pas. Ce n'était pas une mauvaise ville, mais il manquait quelque chose, un petit quelque chose de chez elle, du Cameroun, pour la rendre vivable.Elle se leva et se dirigea vers la cuisine où elle retrouva son oncle assis à la table, une tasse de café à la main. Le regard un peu fatigué, mais il sourit quand elle entra.
— Bonjour, Gono, tu as bien dormi ?
— Oui, ça va, répondit-elle, sa voix traînant un peu.
Il hocha la tête et prit une gorgée de café.
— Écoute, j'ai une proposition à te faire, dit-il en posant la tasse. C'est pas grand-chose, mais ça pourrait t'aider.
Gono fronça les sourcils, interpellée. Elle n'était pas née de la dernière pluie. Son oncle, bien qu'aimable, n'était pas le genre à proposer quelque chose sans arrière-pensée. La situation financière de la famille était de plus en plus précaire, et elle le voyait bien dans les gestes nerveux de son oncle et la tension qui s'installa dans la pièce chaque fois qu'il recevait une facture ou une lettre de relance.
— Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-elle.
Il prit un moment, hésitant, avant de répondre.
— C'est un travail. Pas grand-chose, juste un petit job pour t'aider à payer tes études. Tu pourrais faire des courses pour quelqu'un, quelques petites tâches ici et là. Ça ne sera pas beaucoup, mais ça pourrait faire une différence.
Gono sentit une vague de soulagement, mais aussi un pincement au cœur. Elle savait que son oncle faisait de son mieux, mais cet « effort » ne semblait jamais suffisant. Elle avait quitté le Cameroun avec l'espoir de trouver une meilleure vie, mais ici, tout était différent. La situation était bien plus compliquée que ce qu'on lui avait laissé entendre. Son oncle n'était pas riche, comme il lui avait dit avant qu'elle ne quitte son pays. En fait, il n'était même pas sûr de pouvoir la loger plus longtemps dans la maison.
— C'est qui, ce patron ? demanda-t-elle, suspicieuse.
Son oncle évita son regard, ce qui aggrava l'inquiétude de Gono.
— C'est... un homme d'affaires, un propriétaire de supermarché. Il est assez connu ici, et il a accepté de te donner une chance. Il n'est pas du genre à poser trop de questions. Tu feras des courses pour lui, tu l'aideras dans les affaires du magasin. Ce sera temporaire, mais ça pourrait t'aider à tenir le coup.
Un supermarché ? Gono avait entendu parler de ces grandes surfaces, où des gens avaient des caddies pleins et semblaient vivre dans une bulle dorée d'abondance. Mais elle, elle n'était pas là pour acheter des produits de luxe. Elle était là pour s'en sortir, pour payer ses études, pour trouver un avenir. Elle ne pouvait pas se permettre de se poser trop de questions.
— D'accord, ça me va, dit-elle enfin, une pointe de doute dans la voix.
Son oncle sourit, mais il n'avait pas l'air convaincu. Gono se leva de la table et attrapa son sac. Elle avait une série de questions qui tournaient dans sa tête, mais elle n'avait pas envie de les poser. Elle savait que si elle commençait à gratter trop profondément, il pourrait lui dire qu'il n'avait plus rien à offrir. Elle préférait éviter de prendre ce risque.
**
Elle se rendit à l'adresse indiquée. Ce n'était pas loin de la maison de son oncle. Le supermarché s'étendait devant elle, imposant, bien plus grand que tout ce qu'elle avait vu au Cameroun. Il y avait des dizaines de rayons, des allées vastes et bien éclairées. Tout semblait parfaitement organisé, presque irréel. Les produits étaient soigneusement disposés, et le bruit des chariots résonnait dans l'air, un bruit familier, mais avec une touche de froideur, comme si chaque produit avait une place bien précise, sans dévier.
Gono entra et se dirigea vers le comptoir. Un homme, la quarantaine, se tenait là, un regard sévère. C'était lui, le patron. Il la regarda de haut en bas, sans sourire.
— Vous devez être Gono, c'est ça ? demanda-t-il avec une voix rauque.
Elle acquiesça lentement, se sentant un peu mal à l'aise sous son regard scrutateur.
— Oui, je suis Gono. Je viens pour le travail.
L'homme la détailla un instant, puis hocha la tête.
— D'accord. Suivez-moi.
Elle le suivit dans les coulisses du supermarché, où l'air sentait le propre, mais aussi quelque chose d'un peu plus sombre, presque clinique. Il s'arrêta devant une porte en métal, ouvrit et lui tendit une liste.
— Voilà ce que vous devez faire. Il y a des courses à faire, des documents à récupérer. Vous devrez les rapporter ici. Pas de questions, pas de complications.
Gono prit la liste sans dire un mot. Tout semblait si impersonnel, comme une transaction commerciale banale. Mais quelque chose la dérangeait. Elle n'aurait pas pu dire exactement quoi, mais elle sentait qu'il y avait quelque chose derrière cette offre. Quelque chose de plus. Elle n'était pas totalement naïve.
Juste au moment où elle allait sortir, un bruit de pas se fit entendre. Elle se tourna et, à sa grande surprise, Damien apparut dans l'encadrure de la porte. Il la regardait, les yeux étonnés, comme s'il venait de la voir pour la première fois.
— Gono ? Tu travailles ici ?
Il semblait aussi surpris qu'elle. Le temps se suspendit pendant une fraction de seconde. Damien. Le même Damien qu'elle avait rencontré au lycée. Celui qu'elle avait vu, un jour, la défendre devant ses camarades. Elle n'avait pas prévu de le croiser ici, dans ce magasin, et certainement pas sous ces circonstances. Il s'approcha d'un pas hésitant.
— Comment... Comment tu te retrouves ici ?
Elle ouvrit la bouche pour répondre, mais un autre détail la frappa : l'homme derrière le comptoir, qui avait observé l'échange, ne semblait pas du tout surpris. Bien au contraire, il regardait Damien avec un léger sourire, comme s'il attendait cette confrontation. Cela ne faisait qu'ajouter à son malaise. Pourquoi Damien était-il ici ? Et quel lien avait-il avec cet homme ?
Le doute s'installa en elle, comme une ombre menaçant. Le père de Damien possédait-il ce supermarché ? Si c'était le cas, comment réagirait-il s'il apprenait qu'elle travaillait là ? Et pourquoi l'avait-il impliquée dans cette situation ?
Elle n'eut pas le temps de répondre. Les questions fusaient dans sa tête, mais aucune réponse ne venait. Tout ce qu'elle savait, c'était qu'elle venait de tomber dans un piège dont elle n'avait pas encore compris toutes les ficelles.
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AVEC ELLE
Romanceune romance, entre une esclave et son maître est elle possible ? nous sommes bel bien au XXIe siècle, tout est modernisé ...l'histoire débute au centre de l'Afrique NGONO jeune camerounaise de 18 ans , ses parents lui annoncent qu'elle vivra désorm...