Le Fil Rouge | Tome 1

Chapitre 23 : Horrible mensonge

Maiko Takeda

Le même jour, 19h45 - Quartier du haut - Maison de Kiyoko et Moe

Je fixais Yuta, assis en face de moi autour de cette large table. Il picorait dans les assiettes de chips, piochant au hasard sans aucune retenue. Cela me rassurait quelque part : le voir manger avec autant d'appétit signifiait qu'il était à l'aise et, plus important encore, qu'il allait bien. Mais quelque chose ne tournait pas rond.

J'étais arrivée chez papi et mamie un peu avant 18 heures, pour qu'ils puissent nous déposer chez les Sera. Pendant que Yuta était passé aux toilettes avant le départ, mamie en avait profité pour me glisser une confidence : cet après-midi, profitant de mon absence et du retour de Seki chez lui, Yuta avait quitté la maison. Seul. Sous un soleil de plomb.

Sur le moment, je n'avais rien dit, me contentant de hocher la tête. Papi avait alors supposé qu'avec cet anniversaire approchant, Yuta avait peut-être eu besoin de prendre l'air ou de s'accorder un moment de solitude.

Mais en le regardant maintenant, assis en face de moi, je n'arrivais pas à croire à cette version des faits. Il ne me paraissait pas particulièrement triste.

Et puis, Yuta n'était pas le genre de personne à "sortir prendre l'air". Jamais. Même dans ses pires moment, quand son visage trahissait son état d'esprit, il ne faisait pas ce genre de chose. Il préférait rester à l'intérieur, endurer en silence... Alors "Yuta" et "sortir" dans la même phrase ? Ça sonnait faux, terriblement faux.

Je continuais de le fixer, peut-être un peu trop longtemps. Juste pour essayer de deviner ce qui se passait dans sa tête, pour voir s'il y avait la moindre trace de tristesse ou de trouble qu'il tenterait de dissimuler. De temps en temps, nos regards se croisaient. Mais au lieu de détourner les yeux ou de me demander ce que je faisais, il se contentait de me sourire

C'était étrange... Enfin, ce qui était étrange, c'était qu'en arrière-plan, alors que tout mon champ de vision était réduit à Yuta, je n'entendais que Moe. Elle était en train de se plaindre, bruyamment, comme à son habitude. Après avoir mangé et chanté pour Seki, elle avait commencé son monologue : elle en avait assez de rester enfermée, d'interagir avec des inconnus "moins drôles que Rin" sur internet, et de voir Kiyoko sortir sans elle.

Puis elle avait lâché quelque chose qui avait attiré mon attention : selon elle, Kiyoko était sortie faire des courses cet après-midi, pendant exactement deux heures et quarante-deux minutes. Cette précision aurait pu me faire sourire... si ce détail ne m'avait pas semblé aussi suspect.

Je fermai les yeux un instant, mes mains posées sur mon front.

Yuta, sortant seul sous un soleil accablant, alors que cela ne lui ressemblait pas. Kiyoko, partie pour des "courses" étrangement longues.

Coïncidence ?

Je n'en étais pas si sûre.

– Ah ?!

Je tournai la tête en direction du salon. Moe se tenait debout face au canapé, les mains sur les hanches, fixant Seki et Rin qui étaient assis l'un à côté de l'autre. Comme à son habitude, elle criait, incapable de contenir son étonnement.

– J'en reviens pas... Vous rigolez ensemble ?! Genre... vous regardez des vidéos tous les deux ? Ah...

Elle posa brusquement ses mains contre son visage, comme si elle était totalement bouleversée par la scène qui se déroulait devant elle.

Je regardais les deux concernés. Seki avait légèrement reculé, ramenant son téléphone contre lui. Rin, quant à lui, faisait semblant de détourner les yeux, feignant de regarder à travers la fenêtre. Le seul problème, c'était qu'il faisait nuit et que les volets étaient fermés. Cette tentative me fit sourire.