Seattle, Amérique du Nord, 09:00 p.m.
— Faut que tu lâches l'affaire, mec. Y'en a plein d'autres.
Eliot se tient devant moi, le visage illuminé par un mélange d'exaspération et de passion. Il agite ses mains dans tous les sens, comme pour souligner l'urgence de sa déclaration, comme si son salut dépendait de cette discussion. De l'autre côté de la pièce, Harry s'installe confortablement dans un fauteuil en cuir usé, un sourire narquois aux lèvres, prêt à enfoncer le clou.
Je roule des yeux pour la millième fois de la journée. Cette scène, je la connais par cœur. Depuis des heures, ils débattent encore et encore au sujet d'une fille. Pas n'importe quelle fille, bien sûr. Pour Eliot, c'est la fille. L'exception. L'inaccessible. Mais pour moi, ce n'est qu'un autre exemple des discussions interminables qui ponctuent leur vie. Toujours la même obsession, les mêmes dialogues sans fin, comme si leur existence se résumait à courir après des illusions.
— Non, tu la connais pas, insiste Eliot, presque blessé. Ce n'est pas juste une fille, tu sais ? Elle est bien plus que ça à mes yeux.
Je retiens un soupir, et Harry, lui, laisse échapper un éclat de rire sonore. Il se redresse légèrement, croisant les bras sur son torse, et prend un malin plaisir à faire durer le suspense avant de lâcher sa réplique assassine.
— Eliot, elle t'a « friendzoné » une bonne dizaine de fois déjà, mec, rétorque-t-il avec une certaine jouissance. Et toi, tu continues à penser qu'elle est folle amoureuse de toi. Sérieux, ouvre les yeux.
Un sourire étire mes lèvres malgré moi. Harry n'a pas tort. Tout le monde le sait, sauf Eliot. Lui, il s'accroche à cette illusion romantique qui le rend à la fois touchant et pathétique. Tessa. Ce prénom résonne dans notre quotidien comme un refrain qu'on ne peut pas oublier. Tessa par-ci, Tessa par-là. Elle est devenue une obsession, un fantôme omniprésent dans ses pensées.
— Vous commencez à me saouler avec vos histoires de meufs, dis-je enfin, brisant leur échange. On devait pas organiser une fête, normalement ?
Ils se tournent vers moi comme si j'étais une apparition soudaine, un intrus qui venait de briser leur bulle. L'air vaguement surpris, ils échangent un regard complice avant qu'Eliot ne reprenne la parole.
— Tu dis ça parce que t'es jaloux de nos conquêtes, Miller, lance-t-il avec un sourire provocateur. D'ailleurs, comment va Stella ?
Je fixe Eliot, impassible. Ses sourcils se haussent, et je devine ce qu'il espère : que je leur dise qu'il y a enfin quelque chose entre nous. Mais non. Il se plante. Stella et moi, c'est bien plus compliqué que ça.
Stella, c'est ma bouée, ma première amie, la seule qui a tendu la main quand j'étais au fond du gouffre.
Je suppose qu'on peut dire que je n'ai jamais eu de chance dès le départ. Je suis né dans un quartier où la pauvreté ne se contentait pas d'être une condition passagère : elle s'accrochait à vous comme une malédiction héréditaire. Ma mère, épuisée par des journées interminables à l'usine, et mon père, usé par les chantiers, faisaient tout leur possible pour nous maintenir à flot. Mais leurs efforts ne suffisaient jamais.
Les chaussures trouées, les vêtements usés, les dîners qui se résumaient à des portions calculées au millimètre... C'était notre réalité. À l'école, ces détails n'échappaient à personne. Les murmures venaient d'abord, suivis des rires, puis des humiliations plus physiques. À huit ans, j'avais appris que le monde était cruel. À dix ans, j'avais appris à encaisser. Mais à douze ans, j'en avais assez.
Quand j'ai commencé à me défendre, ce fut comme une libération. Les coups que j'avais pris pendant des années, je les rendais enfin. C'était brut, impulsif, mais terriblement satisfaisant. Et c'est à ce moment-là que Stella est entrée dans ma vie. Elle était différente des autres. Elle n'a pas vu un gamin en colère ou brisé. Elle a vu quelqu'un qui méritait une seconde chance. Grâce à elle, j'ai commencé à croire qu'il existait autre chose.
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MILLER : la proie du diable ( EN RÉÉCRITURE )
RomanceEntre la vie et la mort nos cœurs balancent. Elle a toujours eu une vie parfaite. Entre son copain irréprochable d'apparence, sa famille adoptive parfaite et ses résultat élevé en cours Harper à tout pour être enviée. Seulement les apparences sont...