Chapitre 2 : Ouvrez mes yeux

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Ça y est.

Vous y êtes.

Vous êtes avec moi. En mon esprit.

Respirez l'air pulsé à 21 degrés Celsius en permanence, toute l'année.

Écoutez ce silence glaçant légèrement vibrant sous l'effet de la climatisation.

Enfin, ouvrez mes yeux.

Voyez par leur intermédiaire mon univers de béton de deux mètres de large sur trois et demi de long. Je le sais, c'est étroit. Très lisse et gris aussi. Mais vous n'avez pas d'autre choix que de vous y habituer. La claustrophobie n'est pas une maladie à laquelle je vous recommande de céder en ces lieux.

Reconnaissez cependant que tout est bien étudié : il n'y a aucune place perdue en raison de l'absence de meuble. Ce qui en tient lieu ce sont des éléments pleins, moulés avec le reste de la construction. Aucun superflu, aucune décoration ne surcharge ce concentré de vie.

Le lit, sur lequel je me suis étendu pour vous attendre, est l'illustration même de ces principes : un pavé de béton d'un mètre sur deux, d'une hauteur de quarante centimètres, avec pour toute garniture un fin matelas posé dessus et une parure de draps blancs indéchirables, faits dans une drôle de matière glissante et élastique. Idem pour la couverture et l'oreiller. À cela s'ajoute une sorte de bureau cube de béton et son assise cylindrique, tout autant incorporée au reste.

Si vous levez les yeux au plafond vous verrez la seule source de lumière de cette cellule, puisque la ligne droite de dix centimètres de large, qui tient lieu de fenêtre, ne peut remplir cet office. Mais n'espérez aucune liberté de ce côté là non plus : vous ne maîtrisez pas l'intensité du plafonnier, et vous ne pouvez pas l'éteindre, car il est lui aussi encastré dans le béton et planqué derrière une vitre blindée. Pour la commodité des caméras vidéos qui guettent chacun de mes mouvements, il est d'ailleurs allumé en permanence. Ici il n'y a aucune intimité : habillé ou à poil, c'est pareil.

D'ailleurs, en parlant de situations intimes gênantes, regardez à présent le coin à gauche en face du lit. Vous y verrez un immonde bidet-pissotiére, protégé par aucun muret, ni pare-vue, qui tient lieu de lavabo et de toilette sans robinet. L'eau provient d'un jet actionné par un détecteur de mouvement. Une précaution élémentaire, pour éviter que l'occupant des lieux ne démonte la plomberie, pour s'en servir comme une arme. Le même principe est appliqué en face, dans le coin droit, à la sorte de borne de béton d'un mètre de haut, qui tient lieu de douche et qui est dotée d'un minuteur pour éviter les tentatives d'inondation.

Ici, tout est pensé pour ne jamais pouvoir être utilisé au détriment d'ADX ou pour se suicider.

Pour compléter cet équipement déjà luxueux, vous trouverez une minuscule télévision de treize centimètres de diagonale, elle aussi protégée par une vitre blindée et encastrée dans le mur à côté du lit. Elle n'a qu'une seule chaîne et ne diffuse que des programmes éducatifs.

À côté de la télé, il y a aussi une radio. Mais, là encore, ne vous faites aucune illusion. Ce n'est que la radio de la prison, avec un programme lui aussi spécialement étudié. On n'a droit qu'aux informations officielles, aux annonces de l'administration pénitentiaire, qui met en route l'appareil à volonté lorsqu'elle a quelque chose à nous dire, et à une musique de fond lénifiante de politiquement correct qui serait parfaite dans un ascenseur.

N'espérez pas non plus trouver du réconfort dans la lecture. Les livres qui nous parviennent sont eux aussi très contrôlés : on ne peut lire que des ouvrages figurant sur le catalogue de la prison, et approuvés par l'administration. Les revues et les journaux sont proscrits par peur des messages cachés dans les petites annonces.

Donc bienvenue dans un monde paranoïaque et sous contrôle permanent. Maintenant, vous allez le partager avec moi... Enfin, pendant un temps. Après on verra... Ça dépendra de vous. Moi, je sais très bien où je veux en venir. Si ce n'est pas avec vous que j'arrive à atteindre mon but, ça sera avec un autre.

Au fait, dernière information : vous êtes coincés, je viens de refermer la porte étroite de mon esprit par laquelle vous êtes entrés.

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