Chapitre 7 : Ma mort

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Encore une fois, la dernière, vous ouvrez mes yeux. À mes poignets et à mes chevilles vous percevez les lourds cliquetis des chaînes. Gêné par mes entraves, je progresse à petits pas serrés. Même en cet instant nous sommes seuls. J'ai refusé la présence hypocrite du prêtre : de quoi peut-il bien m'absoudre ? Il n'est qu'un homme et ses semblables m'ont condamné. En outre, je refuse l'idée de recevoir l'extrême onction. Mon esprit est plus fort que cela. Il survivra à la mort. Autour de moi, comme vous le voyez, il n'y a donc que des caméras et des robots matons. Pas d'âme vivante, que de la tôle blindée et de l'électronique de précision.

En dépit de ma lenteur à cheminer à travers les couloirs de la prison, nous rejoignons bientôt l'entrée d'une pièce où nous attendent les homologues médicaux de mes gardiens habituels. Ils sont tout aussi métalliques et informatisés. Orange aussi. Comme les autres. Tout est propre et aseptisé autour de nous. Même la grisaille habituelle d'ADX est partie. Ses murs de béton lisses et ternes ont laissé la place à une petite salle immaculée du sol au plafond. C'est tellement éblouissant et irréel dans la lumière des halogènes que vous plissez mes yeux. Il n'y a là qu'une table d'exécution surmontée d'une pendule électronique murale qui indique 16:02. À côté de la table, une desserte à roulettes présente une série d'instruments médicaux.

Je sens votre malaise grandir au plus profond de moi, alors que les robots matons m'aident à m'allonger sur la table blanche matelassée découpée à la forme d'un corps humain. Il m'ôtent mes chaînes pour laisser leurs ersatz médicaux me sangler précautionneusement les bras en croix sur la table en veillant à ne pas couper ma circulation sanguine. Cela gênerai l'exécution.

Je les laisse faire.

Avec indifférence et abandon.

Voilà on y est.

Juste en face de moi, il y a une large et longue vitre blindée. Opaque comme un miroir sans tain qui permet d'observer sans être vu. C'est ainsi qu'ils procèdent. Lâchement. Comme toujours. Mes yeux ne croisent jamais leurs visages, mais eux me voient en permanence, et aujourd'hui plus que jamais, je devine leur présence. À cet instant, je sais qu'ils sont là, derrière la vitre, à attendre que les robots aient fini de tout installer et qu'ils supervisent chacune des manipulations. Mais ils n'interviendront pas : toute la procédure qui dure une vingtaine de minutes est automatisée.

Il me reste à présent beaucoup moins que ça à vivre, et eux ne font que s'assurer de l'exécution de la sentence. Comme à leur habitude, ils me laissent seul au milieu de cet univers déshumanisé qu'ils ont programmé pour en finir avec moi. Surtout ne pas intervenir directement : la mort c'est sale. Ce n'est pas politiquement correct de tuer un autre homme. C'est mal. Je suis là d'ailleurs pour cette raison.

Mais eux, ils le font.

De plusieurs manières, légalement et indirectement. Grâce à leurs robots et grâce à ADX. Ils procèdent longuement dans le temps qui s'écoule entre ces murs, puis lâchement le jour où l'exécution arrive.

Ils tuent psychologiquement puis physiquement. C'est très efficace.

Le tout est effectué avec la meilleure des consciences du monde, puisque leur justice a tranché et qu'elle considère que cette peine est juste. Je suis un monstre. Je mérite ce qui m'arrive. Vous le pensiez vous aussi tout au long de ces chapitres que nous avons partagés ensemble, n'est-ce pas ?

Ne dites pas non. Ne me mentez pas en cet instant. Je le sais ! Je sais tout ce que vous avez pensé de moi. Tout ce que vous pensez encore de moi aussi... Vous ne pouvez rien me cacher.

Et maintenant, soyez un peu honnêtes avec vous-même.

Maintenant, vous êtes ici avec moi, en moi, sanglé sur cette table, sans aucune présence visible et palpable de vos semblables pour accompagner vos derniers instants. Paradoxalement, vous vous sentez en pleine forme, vous ne demandez qu'à vivre... Que ressentez-vous maintenant ?

ADXOù les histoires vivent. Découvrez maintenant