Les élus du Chaddaï : Les perles de Nasya II

FUITE AVEC MOAB

Sevion sortit de l'immeuble furieux, contre lui-même et le recruteur, et hurla un grand coup pour soulager la tension. Cela lui coûta l'attention des passants, qui finirent par vaquer à leurs occupations.

Assis à la table d'un café, Sevion réfléchissait.

Une journée d'avance.

Son véhicule était à quelques enjambées ; il scruta les ruelles et les toits tout en buvant son alcool de fruit. Pas de mouvements de traqueurs à l'horizon.

Réfléchis Sévion, réfléchis, s'intima-t-il.

Retourner dans la région Dévastée le déprimait au plus haut point. D'un autre côté il connaît là-bas des gens comme lui, il pourrait s'en sortir sans se soucier de son anomalie physique. Mais il était parti pour de bonnes raisons. Il s'y était juste mal pris. Ou il avait vu trop grand. Bref, cette journée lui servirait de leçon.

Rester dans une petite ville de la région Écornée ? Ou aller plus à l'ouest, dans les campagnes de la région Épargnée ? L'esprit de Sevion jugeait les points positifs des deux possibilités. Au final, la problématique se résuma en un ratio : la présence des traqueurs et ses chances d'atteindre son ambition.

Habiter dans un coin reculé de la région Épargnée lui assurerait une discrétion sans faille mais il pourrait difficilement se hisser dans l'échelle sociale de Nasya.

Dans une ville de la région Écornée, sa force surhumaine serait rapidement remarquée, peut-être lui autoriserait-on de faire partie de la garde rapprochée du roi. Mais il lui serait compliqué de dissimuler sa patte de lynx au milieu de tous les citadins particulièrement méfiants, et surtout de la présence active des traqueurs.

C'était un vrai casse-tête, et il n'avait pas un temps indéfini pour se décider.

Sevion repensa aux paroles du recruteur. Il avait un contact dans la Tour Royale. Il était prêt à lui faire gagner des années d'évolution professionnelle. À ce jour, Sevion n'avait jamais ressenti ce sentiment d'un coeur parfaitement accordé au fil de son destin.

Si seulement il avait découvert une deuxième main humaine, il aurait eu droit à ce privilège inespéré.

Sevion n'y était pour rien dans sa difformité animale, il était né ainsi. Par contre, s'il n'avait pas ce maudit blocage qui l'empêchait de visionner son premier noeud, tout se serait idéalement passé.

Il avait une envie dévorante de se fracasser le crâne contre la table.

Arrêtez-le ! Arrêtez-le !

Sevion vit Moab sortir du même bâtiment que lui quelques minutes auparavant. Il était en train de courir au milieu des passants, traversant la rue dans sa direction. Derrière lui, deux vigiles tentaient en vain de le rattraper. Puis le recruteur apparut à l'entrée de l'immeuble, le souffle court et le teint écarlate.

Il ne saurait expliquer son geste spontané, mais Sevion tendit son bras animal lorsque le jeune homme en fuite passa près de lui. Immobilisé, ce dernier se débattit inutilement.

Arrêtez-les ! continua de crier le recruteur.

Sevion fronça les sourcils. Les ? Arrêtez-les ? se répétait-il comme s'il avait mal entendu. Une journée d'avance... espèce de...

Aussitôt, Sevion se leva et balança brusquement la table sur les deux vigiles. Il ouvrit à distance son véhicule de location et y jeta violemment le corps frêle de Moab. Il prit les commandes manuelles et s'enfuit en dépassant les autres véhicules, prenant parfois le risque d'utiliser les trottoirs piétons.