Lettre 3: "Another Love"

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Chanson de Tom Odell

Jeudi 12 septembre 2014

Julian,

Je t'avais soigneusement évité les deux jours suivants. Tu m'avais envoyé de nombreux messages mais je n'avais répondu à aucun. Je me sentais trahi et avais envie de te le faire savoir sans pourtant le dire clairement. Tu as toujours eu raison sur un point: je suis très compliqué.

Comme je ne voulais pas te voir, je traînais dans les coins où nous n'allions jamais (autrement dit où les gens que nous n'aimions pas étaient). Ce que j'ai entendu là bas m'a encore plus conforté dans mes idées. Je me sentais encore plus différent avec eux. Encore plus bizarre, anormal, pas dans la norme, monstrueux et surtout seul. Encore plus triste. Ces deux jours ont vraiment été horribles. Le deuxième midi, j'ai craqué. Je me suis réfugié aux toilettes. Devant le miroir, mon reflet paraissait malade, terne. Ses cernes étaient violettes et profondes sur sa peau pale. J'étais en crise d'hypoglycémie avec rien dans l'estomac depuis plus de 24h mais je ne voulais (ni pouvais) rien avaler. Je me mouillais le visage pour essayer de faire le vide dans ma tête. Échec. Je me mis à trembler et avant même que je m'en rende compte, je vis les larmes de mon reflet couler. Impossible de me calmer, une fois parti. J'entendis deux mecs discuter devant la porte des toilettes. Je m'enfermai dans un des cabinets et fourrai mon poing dans ma bouche pour m'empêcher de pleurer bruyamment. Les types finirent par entrer et je compris qu'ils n'étaient pas seulement amis quand l'un d'eux chuchota d'une voix suave :
"J'ai envie de toi maintenant"
J'ai dû rester caché dans mon cabinet plus d'une heure. Je ne saurais dire pourquoi mais les entendre se dire des petits mots doux n'a fait qu'amplifier mes larmes. J'ai détesté ces types, j'ai détesté leur bonheur. Je ne souhaitais plus qu'une chose : m'enfuir. J'avais le droit à un aperçu de ce que je pensais ne jamais avoir avec toi.
J'avais fini par fourrer mes écouteurs dans mes oreilles pour masquer du mieux que je pouvais leurs gémissements.
J'aurais voulu mourir. Tu étais la seule chose importante dans ma vie, ma seule raison de me battre contre tous ces démons. Et tu venais de briser tous mes espoirs. Ça a commencé ce jour là et ça ne c'est plus jamais arrêté.


Vers 13h, les deux amoureux étaient enfin partis. Je sortis des chiottes et traversai tout le lycée en un temps record. Je n'étais absolument pas capable de retourner en cours. La tête me tournait tout le long du trajet lycée/maison. C'est quasiment en titubant que je poussai la porte de ma maison.
Le sol tanguait étrangement puis à un moment il se rapprocha de mon visage. Je tombais sans avoir la sensation de chute. Et ce fut le noir.


J'ouvris les yeux et mis quelques secondes à reconnaître la pièce où j'étais. J'étais allongé dans mon lit, enroulé dans ma couverture. Je tournai la tête vers mon réveil, il indiquait 15h37. Je cherchai en vain la raison de ma présence chez moi à cette heure là, je n'avais aucun souvenir d'être rentré. Je fus submergé par une énorme tristesse, le genre de sentiment qui vous prend à la gorge et ne vous lâche plus. Le sentiment qui vous oppresse, vous tord le ventre, vous fait vomir, pleurer et parfois saigner.
-Tu es enfin réveillé... marmonna une voix à côté de moi.
Je sursautai et te reconnu, la tête enfoncé dans un oreiller.
- Qu'est ce qu'on fout ici ?
Le sentiment m'empêcha d'oublier ce que tu avais fait.
- Tu ne répondais plus à mes messages et m'évitais pour je ne sais quelle obscure raison. Tu avais dit cette phrase d'un ton plein de reproches. Alors je comptais t'attendre devant chez toi pour que tu m'expliques mais quand je suis arrivé, j'ai trouvé la porte ouverte et toi par terre.
Tu t'appuyas sur tes coudes pour mieux pouvoir me fixer d'un air réprobateur.
Mon cerveau tournait à plein régime pour retrouver ces souvenirs dans ma mémoire mais c'était peine perdue.
Je ne voulais pas t'avouer que je ne me rappelais de rien, c'était clairement un signe de faiblesse.
- Il n'y a rien à expliquer, lâchai-je d'une voix qui se voulait froide.
Tu levas un sourcil et t'approchas encore plus près que tu ne l'étais déjà. Je ne pu empêcher mon cœur de rater un battement quand tu posas ta tête dans le creux de mon épaule. J'essayai de garder une respiration normale alors que mon cœur s'affolait. J'étais partagé par l'envie de te prendre dans mes bras et faire disparaître le sentiment par la même occasion et celle de te repousser pour que tu arrêtes de te servir de moi comme cobaye de sensations.
Tu plongeas tes yeux dans les miens.
- Si c'est réellement le cas, je peux savoir pourquoi tu ne m'as toujours pas pris dans tes bras ? Pourquoi je n'ai pas eu le droit à ta main qui ébouriffe mes cheveux pendant plus de 48h ? Pourquoi je n'ai lu aucun de tes messages durant deux nuits entières ? Pourquoi j'ai l'impression de ne pas t'avoir vu pendant une éternité ? Et pourquoi j'ai la sensation de ne pas avoir eu ma dose de toi pour survivre à une journée de plus ?
Tu avais chuchoté les deux dernières questions. Mes larmes sortirent d'elles-mêmes de mes orbites et les tiennes -qui t'étaient montées aux yeux quand tu parlais- firent de même.
J'avais tellement envie de t'embrasser mais je me retins. Je n'allais pas gâcher ce moment si beau. Ça ne te ressemblait tellement pas ! Tu n'avais jamais été ainsi jusqu'à présent... Le sentiment était parti et j'en profitai pour ne penser qu'au moment présent et non aux conséquences.
Je me contentai de me noyer dans tes iris.
- S'il te plait... murmuras-tu.
Je craquai, passai mes bras autour de ta taille et te rapprochai encore un peu plus de moi. Je ne m'étais pas rendu compte que tu avais bloqué ta respiration tout ce temps. Tu la relâchas dans un soupir dans mon cou. Je sentais ton sourire contre ma peau. Nos corps étaient tout collés l'un à l'autre. Une personne serait rentrée dans ma chambre à ce moment là, elle n'aurait jamais pu deviner que nous n'étions que meilleurs amis. Étrangement, cette idée me plaisait. J'ai toujours trouvé ce "concept" nul à chier : deux filles peuvent se faire des câlins et des bisous, à n'importe quels endroits, personne ne fera de commentaire. Mais deux amis ne peuvent pas se faire la bise ou se prendre dans les bras sans que l'on les traite de "PD".
Je ne veux pas rentrer dans une de leurs petites cases "hétéro", "PD", "mec efféminé",.... Je veux pouvoir embrasser n'importe qui (fille ou garçon), n'importe où. Pourquoi les gens aiment tout classer, tout mettre dans des catégories ? On ne peut pas simplement vivre et voir ce qu'il adviendra ? Mon plus grand rêve est de vivre sans toutes les règles stupides de notre société. J'espérais le faire avec toi mais plus le temps passe, plus je me dis que les chances diminuent.
Enfin bref, on est resté un moment dans cette position; mes doigts jouaient avec tes cheveux et toi tu t'amusais à me chatouiller le cou avec tes lèvres.
Après plusieurs grognements de mon estomac, tu te redressas.
- Tu ne l'as pas nourri depuis combien de temps ? En dirait qu'il est à l'agonie ! Rigolas-tu sans savoir que je n'avais réellement pas mangé depuis un moment.
J'avais fait des conneries mais jamais avec la nourriture.
- On se regarde un film en bouffant du popcorn ? Ça fait super longtemps qu'on l'a pas fait ! T'exclamas-tu, déjà debout près du lit.
- Ok, mais c'est moi qui choisie le film ! Marchandai-je.
On se regarda quelques secondes puis éclata de rire.
- On n'a pas beaucoup grandi finalement ! Rigolas-tu alors que tu m'aidais à me relever.
Tu faisais cuire les popcorns pendant que je cherchais un film sur Internet. Je me suis décidé pour Into the Wild. On a dû le regarder une dizaine de fois, c'était un de nos films préférés.
Faire un roadtrip comme Alex Supertramp l'a fait. Vivre sans toutes ces règles, en se foutant de notre société ! On en a toujours rêvé !
Et cette citation que nous aimions beaucoup: "L'essentiel n'est pas d'être fort mais de se sentir fort".
Je me vautrai sur le canapé et posai mes pieds sur la table basse en face. Tu me rejoignis, un bol rempli de popcorn dans les mains.
- Into the wild ?
- Très bon choix, approuvas-tu en t'asseyant près de moi.
Tu avais fini par t'endormir après une petite heure de film. Ta tête était posée sur mes genoux. Tu avais l'air tellement calme et serein, endormi. Aucun rictus ne déformait ton visage fin. Je passai plus de temps à t'observer dormir qu'à regarder le film.
J'eus un pincement au cœur en t'imaginant dans les bras de Jason. Soudain, la mémoire me revint. Les remarques acerbes qui se faisaient -très- souvent entendre quand je marchais seul dans les couloirs bourdonnèrent dans mes oreilles. L'oppression insupportable des regards. Le besoin de refuge. Les toilettes. Les larmes. Les deux mecs et leurs gémissements. La tristesse débordante et le dégoût de leur bonheur. Le trajet horriblement long. Et enfin la chute. Les images passaient comme des flashs dans mon cerveau. Une boule se forma dans ma gorge, me faisant suffoquer. Je fermai les yeux et me concentrai sur la voix des personnages du film. Ma respiration se calma après de longues minutes. Quand je fus certain que ma crise de panique était terminée, je rouvris les yeux et croisai ton regard. Je devins livide. Mes tremblements avaient dû te réveiller mais depuis combien de temps me fixais-tu ? Avais-tu tout vu ? Je n'eus pas le temps d'avoir une réponse que je fus pris d'un haut-le-cœur. Je te poussai et courus vers la salle de bain la plus proche.
Je vomis le peu de popcorns que j'avais ingurgité accompagné de bile.
Accroupi devant les WC, je repris lentement ma respiration.
Tu étais appuyé contre la chambranle de la porte, les bras croisés sur le torse, attendant de réelles explications.
Je te fixais, les yeux vides, perdu dans mes réflexions. Qu'est-ce-que je pouvais te dire ? Qu'est-ce que je pouvais dire sans te montrer mes sentiments ? Si je t'en avais parlé à ce moment là, tu serais parti en courant. (Il n'y aurait pas eu de grande différence à la situation actuelle, quand on y pense...)
Je décidai finalement de poser la question fatidique.
- Tu es... gay ?
Ton visage prit immédiatement des couleurs.
- Non ! Enfin... Je trouve juste Jason très...attirant...
Tu rougis encore un peu plus à ces mots.
Mon cœur se déchira en petits morceaux. Alice n'avait pas tout à fait tord. Tu allais sûrement finir par sortir du placard pour être avec Jason. Jamais tu n'aurais fait ça pour moi. Avec moi, tu préférais jouer.
Je pris une grande inspiration.
- C'était comment hier soir, en boite?
Tu relevas la tête, tes yeux s'illuminèrent. Tu t'installas en face de moi et me racontas cette fameuse fin de soirée en détails.
Mon cœur était en bouilli. N'en pouvant plus, je te pris dans mes bras et murmurai d'une voix rendue roque par les sanglots retenus:
- J'espère que ça marchera entre vous deux...
Cela sonnait tellement faux, je fus surpris que tu ne fasses aucun commentaire sarcastique.
Quelques traîtresses de larmes roulèrent sur mes joues. Je les essuyai du revers de la main avant de te repousser doucement.
- Aaron... Ça ne te fait... rien, que je sois attiré par un gars ? Demandas-tu, beaucoup moins sûr de toi qu'à ton habitude.
Tu me fis de la peine avec ton air angoissé.
C'est sûrement la seule phrase que j'ai dit sincèrement cet après-midi là.
- Julian, tu es mon meilleur ami. Que tu sois hétéro, gay, bi ou même trans, tu resteras mon meilleur ami, ok ?
Tu me souris, les larmes aux yeux. C'était tellement rare que je te vois ainsi, aussi... bouleversé. J'avais du mal à croire que c'était moi qui te mettais dans cet état. C'était moi qui te réconfortais, toi qui s'appuyais sur moi. Je ne me doutais pas que la scène de la salle de bain allait se répéter inlassablement durant les mois suivants.
- Merci, chuchotas-tu en rapprochant ton visage du mien.
Je t'imaginai t'approchais ainsi de Jason, déposant de légers baisers sur tout son visage pour finir sur ses lèvres. Cette idée me fit frissonner. De jalousie ? De colère ? De tristesse ? Je ne savais pas. J'étais sûr d'une chose: ça faisait foutrement mal.
Sans m'en rendre compte, je m'étais reculé pour conserver cette distance entre nous. Tu t'en aperçus et tes joues reprirent leur belle couleur pourpre. Je regrettais déjà mon geste, alors je me penchai vers toi et déposai un petit bisou timide sur ta joue. Je m'écartai rapidement, plus que gêné. Je ne comprenais pas d'où était sortie cette assurance. Toi non plus, d'ailleurs. Tu me regardais comme si j'étais Zeus, ce qui ne faisait qu'accentuer un peu plus mon malaise.
- Désolé... finis-je par m'excuser, devant ton manque de réaction.
Tu te remis à cligner des yeux et je poussai un discret petit soupir de soulagement.
- Non ! Non ! J'étais juste pris au dépourvu. C'est la première fois... t'exclamas-tu, retrouvant tes esprits.
Je ne souhaitais plus que mettre un terme à cette conversation.
- Bon, on se regarde la fin de ce film ou pas ? Lançai-je en me mettant debout.

Je n'attendis pas ta réponse et filai vers le salon. Tu me suivis en traînant presque des pieds mais t'assis finalement à mes côtés.
Je sentais tes regards insistants alors je fis mine d'être plongé dans le film pour éviter toute discussion. J'en avais assez entendu pour aujourd'hui.

Tu finis par rentrer chez toi après m'avoir salué sans trop de proximité, à mon grand soulagement.
Je fermai la porte derrière toi en poussant un long soupir. J'allais devoir m'habituer à ce que tu piétines mon cœur; j'aurais certainement le droit aux résumés de tous tes rendez-vous. Je me demande encore pourquoi ta relation avec Jason me faisait autant mal. Tu étais bien sorti avec des dizaines de personne jusqu'à présent. Mais toutes des filles. Est-ce cela ? Le fait que ce soit Jason qui te fasse sortir du placard ? Jason, pas moi. Une vague de frustration monta en moi, j'étais donc réellement aussi ennuyant, peu attirant et inintéressant que le disaient ces personnes qui ne me connaissaient même pas ?
J'eus envie de frapper, casser. De voir que je pouvais, moi aussi, briser autre chose que moi-même. Je me retournai et envoyai mon poing s'écrasait contre le bois de la porte. Un craquement sinistre se fit entendre et une douleur vive se répandit dans ma main.
"Putain, j'suis tellement con !" Grognai-je.
J'essayai de bouger légèrement mes doigts mais la douleur fut plus aiguë. J'attrapai un sachet de glaces dans le congélateur et allai m'enfermer dans ma chambre avant que mon père ne se réveille.
Je ne sais combien de temps je suis resté allongé sur mon lit, la musique dans mes oreilles en fixant le plafond de ma chambre.
"Regardes, il gèle, là sous mes yeux. Des stalactites de rêves, trop vieux. Toutes ces promesses qui s'évaporent vers d'autres ciels, vers d'autres ports.
Et mes rêves s'accrochent à tes phalanges. Je t'aime trop fort, ça te dérange. Et mes rêves se brisent sur tes phalanges. Je t'aime trop fort.
" ("Le Tunnel d'Or" de AaRON)

Tu me manques,

Aaron


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Hey ! Je tiens vraiment à m'excuser de mettre autant de temps à sortir un malheureux chapitre (dont je ne suis pas fière du tout) beaucoup plus court que le précédent. En fait je n'avais aucune idée de comment le terminer. Bref, j'espère que vous avez quand même un peu aimé et que ce n'est pas trop décevant. Donnez-moi votre avis, s'il vous plaît ! ^^

Merci d'avoir lu ! xx

-C.

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Lettres ABANDONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant