Une doucereuse escapade

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J'ouvris les yeux. Une envie nocturne m'avait d'un coup privé de mon sommeil qui, pourtant, m'était bénéfique depuis l'arrivée de ces « étrangers ». Mes orbes brillantes se tournèrent vers la seule fenêtre perçant le mur de ma chambre, de ma cellule aménagée. La lune était majestueuse, régnant parmi ses sujets vaporeux, cachant impunément ceux qui oseraient faire concurrence à leur souveraine. Un ciel couvert... tout comme mes prunelles grisées d'un fort besoin malsain. Mon corps bouillait et ma gorge était peu à peu asséchée. Vite, pas de temps à perdre... Je ne savais pas, après tout, quand est-ce que mon « roi » à moi allait refaire surface. Il me fallait trouver rapidement un moyen de satisfaire ce vil être que je suis.

Je me levai donc, posant mes pieds nus sur ce sol froid et forçant ainsi de désagréables frissons à parcourir mon corps, mon échine, pour finalement arriver au centre de mon cervelet. Aucun vertige ne me prit à cette soudaine élévation, mon objectif m'obnubilait déjà tellement...

À pas de loup, je sortis de mon repère et atteignis le couloir, le parcourant dans le plus religieux des silences ; ou presque. Ma respiration, trop forte à mon goût, irrégulière mais surtout indomptable était la seule chose brisant ce mutisme presque oppressant, angoissant. Je passais donc devant de nombreuses pièces semblables à celle que je venais de quitter, celles-ci étant parfois – souvent – moins bien fournies, moins confortables, moins « accueillantes ». Doux euphémismes descriptifs pour qualifier des cellules ayant servi à « stocker » les cas les plus difficiles des anormaux de la société. Les chiffres qui ornaient chaque porte restante étaient ternis, avaient perdu de leur superbe depuis les nombreuses années où ce bâtiment avait été lâchement délaissé. Pauvre toi en ruine... tu couves ce cancer qu'est l'Homme. Cet être « infâme » comme aime le qualifier mon autre et mon roi. Si seulement il tirait le même plaisir que je ressentais à essayer de retirer le reste de santé mentale que ces spécimens gardaient sagement en eux...

Bien vite, mes pas me menèrent devant une porte fort bien redoutée et appréciée. Rien que de voir le bois peint et crasseux de la salle m'apportait un frémissement si délicieux et détestable à la fois. Toujours deux grands opposés qui finissent par s'emparer de mon âme pour me torturer, me pousser à devenir encore plus désireux, à vouloir effleurer du bout de mon imagination toute la réminiscence que je pourrais connaître si je poussais cet obstacle, si je le franchissais pour faire face à notre Némésis. La « nôtre ». En effet, je ne le voyais pas ainsi, contrairement au doux agneau sommeillant en moi. Je ne voyais pas ce bourreau comme tel ; je le voyais en idole. Mieux ! En un être qui ne pouvait qu'éveiller une sorte d'admiration, une adulation. Lors de ma première rencontre avec l'individu, quelque chose en moi – et au fond de Kevin – s'était manifesté : la passion. Une passion brûlante, consumante, dévorante, tortueuse, mortelle. Une passion sans fin, un puits qui pouvait happer toute ma conscience pour me laisser dans un état d'instinct premier, d'instinct charnel, de plaisir sauvage comme je n'en avais jamais goûté auparavant. Même les nombreuses altercations, les nombreux jeux auxquels j'avais participé avant de le voir lui n'étaient que de simples reliquats du réel plaisir. Du Plaisir. Un plaisir masochiste empreint d'une douce folie.

Je lâchai un rire, fendant l'air dans un écho lugubre tandis que rien ne bougeait dans l'hôpital. Rien. Pas même moi. Non, j'étais resté planté devant cette porte, le cœur voulant se faire remarquer en martelant contre ma poitrine. A ce moment je redécouvrais la présence de mon cœur, de mon corps, de ma simple condition d'Homme. Je désirais, je rêvais, je voulais. Il voulait.

Espérons que notre hôte n'ait pas entendu ce son cinglant, bien trop aigu pour sembler appartenir à un homme. Il ne manquerait plus que la surprise de pouvoir m'admirer n'en soit plus. J'y comptais, je comptais à ce que cela paraisse comme un rêve. Un rêve où deux amants se retrouvent pour consommer leur amour. Oh je jubilais, je gigotais. « L'amour ». Kevin se serait pendu s'il m'entendait. Amour, amour, amour. J'aimais, oui, tout comme mon roi aimait bien qu'il ne veuille s'en convaincre. Je brûlais d'un amour malsain tout comme je mourais d'une haine certaine. Cette mixture visqueuse de ce mélange bien trop connu de la raison me donnait l'envie de vomir ; j'avais la gerbe... j'avais la gerbe et pourtant mon corps était brûlant de désir.

Une doucereuse escapadeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant