Partie 4 : La clairière

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          Je cours, encore et encore, la peur au ventre. J'avais raison, absolument raison. Tout était trop facile. Je suis à moins d'un kilomètre du lieu d'arrivée et je suis acculée de partout. Un véritable traquenard. Je suis prise au piège et ma seule échappatoire est droit devant. Mais les bruits sont partout et je n'arrive pas à prendre de l'avance. Ils ne sont pas humains. Je le sens. Je le sais. Ils ne font aucun bruit, ne s'essoufflent pas. Même les chiens tirent la langue mais eux non. J'aperçois à peine leurs silhouettes dans la forêt. Ils vont vite, sautent trop haut, sont trop puissants.

          J'ai peur. Tellement peur que mes pas se font plus rapides. Mon souffle est puissant et je jette un coup d'œil derrière moi. J'ai pris un peu d'avance par je ne sais quel miracle. Ils sont à moins de deux cents mètres de moi, trop proches de mon corps souffrant. 

          Et puis je décide de finalement tenter le tout pour le tout. Une fois sur un sol stable, sans pente et peu d'obstacles en perspective j'attrape mon sac. Je le passe sur mon ventre et en sors une première boule de tissu.

          D'une main hésitante je cherche le briquet, et je comprends que je perds de la distance. Alors je tente d'accélérer tout en allumant mon tissu trempé de vin. Je le lance sur une touffe de brindilles sèches que j'aperçois en traçant comme une dératée parmi les arbres. Je n'attends pas de voir si elle a pris, j'en prends une autre que je lance à son tour, et encore une autre. Je les allume toutes et en jetant un regard derrière moi j'aperçois mes poursuivants hurler et les chiens gémir.

          Le feu prend vite, très vite en cette saison estivale, tellement que je sens bientôt la fumée accompagner ma course. J'accélère et j'entends des bruits de course m'entourer de toutes parts. Mes poursuivants me rattrapent, la peur au ventre, tout comme moi. Nous avons désormais un véritable adversaire, fait de feu et de folie. Les chiens se mettent à me dépasser et je continue ma chevauchée, tout en sentant mon corps devenir plus faible. Les secondes et les minutes s'écoulent, j'attends à tout moment de me faire attraper ou tirer dessus, ou pire me faire bouffer par le feu.

          Puis la délivrance. Elle m'attrape dans une délicieuse étreinte quand j'émerge dans la prairie. Un souffle nouveau s'empare de moi. Tellement tendre que mes jambes se font plus rapides, je fonce à toute vitesse vers les immenses ruines à l'extrémité de la prairie. Elle est immense, recouverte d'herbe jaunie et de fleurs des champs aux couleurs éblouissantes. Mais elles ne sont que des taches lumineuses dans ma vision tandis que je cours à n'en plus finir. Je jette mon sac derrière moi tout en tirant mon briquet et ma dernière boule de tissu. Je l'allume et la jette derrière moi sans regarder. Un cri m'apprend qu'un de mes poursuivants a été touché. Les chiens sont devant et je fous un coup de pied dans une gueule béante. Mon autre jambe n'a pas cette chance et s'extrait rapidement d'une mâchoire. Un cri sort de mes lèvres mais je reprends ma course. 

          La chance est un peu avec moi, car ce sont de simples chiens de chasse, de beaux épagneuls qui me laissent passer en voyant leurs compagnons chevauchés par mes coups de pied. Je jette un regard derrière moi et je vois que mes poursuivants sont à quelques mètres derrière moi, évitant à leur tour leurs animaux épuisés. J'accélère encore et encore, puisant dans mes dernières ressources.

          Mais tandis que j'arrive à quelques mètres des ruines un homme se jette devant moi. D'où il vient je ne le sais pas, mais je me sens stupide. Ils sont quatre à ma poursuite, j'aurais dû réfléchir à l'endroit où se trouvait le cinquième. Il commence à sortir un couteau de sa ceinture et le place sous ma gorge. Je me débats violemment lui faisant lâcher son bien et son rire éclate à mes oreilles. Il me met un coup dans le ventre et j'en profite pour m'éloigner de lui avant de lui envoyer mon pied entre ses jambes écartées. Il s'écroule sur le sol tandis que j'entends les pas des quatre arriver alors je reprends ma course, grimaçant de douleur. 

          Les ruines se font toutes proches et j'accélère dans un moment de folie furieuse. Les chiens me rattrapent me faisant couler des larmes furieuses sur les joues tandis que je me jette sur les roches délabrées. Mon corps est épuisé, je n'en peux plus mais je souris tandis que je comprends que j'ai réussi. J'éclate de rire en me relevant, titubant contre un mur en pierre tandis que mes poursuivants s'arrêtent devant moi, leurs chiens à leurs pieds. Ils se mettent à m'applaudir avec fureur. Ils sont cinq, quatre hommes et une femme au corps androgyne.

          Le plus âgé s'approche de moi avec une allure hautaine et d'une aristocratie époustouflante, je pense que j'ai à faire au fameux duc de ma lettre. Sa voix éclate à l'accent clairement anglais me rendant perplexe par ses paroles :

         - Félicitations Miss Evenett ! Vous avez atteint votre but et je suis heureux de vous annoncer que depuis près de cinq ans vous êtes la première à survivre.
         - Alors il y en a eu d'autres, je murmure d'une voix erratique. 

         Il me sourit avec complaisance avant de faire signe à un homme d'approcher. Il doit avoir environ trente ans. Grand, bien bâti, plutôt bel homme s'il n'avait pas le visage balafré sur sa joue droite. Dans son regard transparaît une ironie accablante tandis qu'il me fait un clin d'œil. Il s'approche de moi avec une démarche bourrue avant de prendre la parole d'une voix trop douce pour son physique :

         - J'ai survécu il y a cinq ans tout comme vous Miss Evenett et un jour vous aurez le plaisir de voir quelqu'un réussir à votre tour.
         - Je ne crois pas non.

         Il me sourit tandis que la femme prend la parole à son tour :

          - Vous savez Miss, nous ne sommes plus tout à fait humains. Le Duc a créé un sérum il y a déjà plusieurs années qui nous rend bien plus forts que les humains mais surtout plus violents. On a besoin de tuer et de chasser. Et l'humain est le plus amusant à poursuivre. Si vous le souhaitez, vous pouvez vous joindre à notre troupe ou alors...
          - Vous pouvez toujours rêver, je murmure d'une voix agacée. 

          L'homme à la cicatrice éclate de rire avant de se rapprocher un peu plus de moi. Il se penche près de mon oreille et sa voix éclate dans mon esprit :

          - Ne croyez pas que votre vie va reprendre normalement désormais. Vous avez goûté au danger et vous reviendrez vers nous très vite, ne serait-ce que pour savoir... pour comprendre un peu mieux ce qu'il vient de se passer. Ce jour-là, je me ferai un plaisir de vous apprendre ce qui vous tourmente.



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