Petra.
L'état de son corps me surprend. Il est presque intact. Elle est étendue dans la clairière, au milieu des fleurs. À la voir comme ça, de loin, on pourrait presque croire qu'elle est seulement endormie, et bien loin de toutes les monstruosités qu'offre la vie. Mais le trou béant en plein milieu de son ventre est preuve d'une mort qui, j'imagine, a dû être douloureuse. Elle qui a déjà survécu une fois, frôlant la mort de près, j'aurais au moins espéré pour elle qu'elle meure sans trop de souffrances. La dernière fois, lors de l'expédition où nous avions affronté le titan femelle, la totalité de son équipe avait trouvé la mort. Et nous avions bien cru que elle aussi. Seulement, le caporal Livaï était retourné sur le lieu du désastre, après que l'on ait récupéré Eren ; et était revenu avec une Petra presque morte dans les bras. Malheureusement, pour les autres membres de son escouade, il n'y avait plus rien à faire pour eux, si ce n'est une sépulture digne de ce nom. Petra avait dû être hospitalisée en urgence. Sa colonne vertébrale était toute tordue, et plusieurs nerfs étaient gravement endommagés. Elle était entre le blanc de la vie et le noir de la mort, et personne, à commencer peut-être par elle-même, ne savait si elle serait toujours vivante l'heure suivante. Sa guérison avait été douloureuse et risquée, sa rééducation avait été longue et un véritable enfer. Le caporal Levi avait été inquiet pour elle, ça se sentait. Bien qu'il affirmât que son inquiétude était fondée sur le fait qu'il s'agissait du dernier membre de son escouade, nous savions tous que c'était plus qu'un simple sentiment amical entre caporal et subordonnée. Hanji avait alors dit qu'au vu de ses blessures, elle pourrait rester paralysée à vie, aveugle ou encore pire, ne pas supporter la rééducation et y mourir. Quand, presque par miracle, elle avait réussi à s'en remettre, nous avons tous voulu l'emmener avec nous. Si elle était restée là-bas, elle se serait faite arrêtée pour complot, puisqu'elle faisait partie de l'escouade de Livaï. Ces deux-là, ce n'était plus un secret pour personne. Quoique, tout le monde fermait les yeux dessus, nous connaissions tous la discrétion du caporal et la timidité de Petra.
Je reporte mon attention sur son corps. Je dois l'avouer, j'ai souvent trouvé cette femme belle. Elle était simple, gentille, et jolie. Là, allongée dans les fleurs, on pourrait la prendre pour un ange. Ses cheveux ocres sont éparpillés autour d'elle, et malheureusement tachés de sang. Petra aimait le caporal Livaï, nous le savions. Mais la grande faucheuse n'a pas dû apprécier que Petra la nargue de cette façon, en lui échappant une première fois, et en ayant quelques moments de bonheur. Avec Levi.
Je détourne le regard. Petra est tellement un symbole de paix, à cet instant, que si elle restait tel quel, même le plus horrible des titans serait attendri. Un peu plus loin, un autre cadavre est sur le sol. Mon étonnement est sans limite, à cet instant.
Livaï.
Je ne peux pas croire que c'est à lui qu'appartient ce corps sans vie, non loin de Petra. Je ne peux me persuader que c'est lui, dont le visage et le torse sont à moitié déchiquetés, et dont la jambe droite est pliée dans un angle improbable, et dangereux. Je descend encore une fois, mais je m'arrête avant le sol. Comme si je ne voulais pas violer ce tableau. Le corps du caporal est tourné en direction de Petra, et son unique bras gauche est tendu vers le corps de la jeune fille. Comme elle, il est blessé à l'estomac, mais à l'instar de Petra, c'est juste une plaie béante ; elle, c'est carrément un trou qui lui transperce le corps. Les yeux de Levi sont voilés, et injectés de sang. Il a dû combattre de toutes ses forces avant de mourir. De plus, j'aperçoit un filet de sang qui dégouline de ses lèvres entrouvertes, à travers lesquelles je devine un cri mort-né ; sûrement destiné à Petra. J'imagine, qu'en plus de ses profondes blessures et ses hémorragies, il a dû trépaner aussi par l'obstruction des voies orales par son sang. Le scénario me paraît simple : Petra et lui ont combattu ensemble, une dernière fois, et puis Petra a reçu un si violent choc dans le ventre que celui-ci s'est totalement ouvert. Elle est ensuite tombée dans les fleurs, en murmurant sûrement le prénom de Levi. Le caporal, fou de rage et de tristesse face à sa mort, a dû combattre les autres titans, et aussi pour les empêcher de salir une nouvelle fois le corps de Petra. Ce combat lui aurait coûté la vie. Mais avant de mourir, il serait au moins mort en la protégeant.
Le caporal Livaï...il a toujours été un personnage étrange. Je me souviens, encore, qu'Eren et moi l'adulions quand nous étions enfants. Après, il nous avait sauvé, Eren, Armin et moi, lors de l'attaque de Trost. Mais cet homme s'est avéré être diabolique. Surtout lors du procès d'Eren, où je m'étais promis de lui faire la peau. Dès ce jour, j'ai éprouvé un mépris sans nom pour cet homme, aussi charismatique soit-il. Et encore une fois, je lui ai dû une vie, et un mépris inconcevable. Lors de l'attaque du titan femelle, où il m'avait sauvé, ainsi qu'Eren, mais où aussi il m'avait empêché d'accomplir ma vengeance. Après tout ça, je me suis rendu compte que je ne pourrais jamais m'abaisser à être sous ses ordres, mais quelque chose m'empêchait aussi de lui envoyer mon poing dans la figure pour ce qu'il avait fait. J'ai découvert ensuite, et surtout grâce à Petra, que c'était au fond quelqu'un d'attentionné et de doux. Et aussi, il y eu ce jour, où, je ne saurais dire si j'étais dégoûtée ou surprise, où nous avions découvert que nous portions tous deux le nom Ackerman. Notre lien familial m'est toujours inconnu. Oncle ? Frère ? Cousin ? J'ignore encore.
Je les regarde encore une fois tous les deux. Je pense qu'ils ont au moins ce qu'ils ont voulu : ils se sont éteint tous les deux, ensemble, avec pour dernière pensée, celle de l'autre, et comme dernière parole, le nom de l'autre.
Je ne veux en aucun cas briser cette vision, à la fois horrible et magique. J'espère au moins que là où ils sont, ils seront heureux...et ensemble.