« Je m'étais tellement trompé.
Sur tout. Sur chacun. Sur moi.
Toutes ces années, je m'étais
tellement échiné à me perdre,
à me fondre dans le décor,
à me noyer dans la masse.
Je m'étais noyé tout court. »
J'avais grillé ma quatrième cigarette de la soirée lorsque l'appel est arrivé. J'ai pris le temps d'écraser le mégot dans le cendrier, de respirer trois fois le plus calmement possible et de me répéter " ça va aller " dans ma tête avant de décrocher. Il y avait eu en tout cinq sonneries, ce qui me paraissait correct. Je ne donnais pas l'impression d'être pendu au téléphone, mais en même temps, j'étais disponible. Mélange parfait. La voix qui a retenti était calme, et devait sûrement appartenir à un homme costume-cravate-petit ventre-bateau sur la côte d'azur pour les vacances d'été.
- Bonsoir, je suis bien chez... Styles ? Harry Styles ?
- Oui, c'est moi.
Je fixais le tableau d'art moderne devant mes yeux – cadeau de ma mère à son retour d'un voyage en Angleterre " Mais si Harry, il est ma-gni-fi-que ! De toute façon tu n'as jamais rien compris à l'art, je t'assure que cette oeuvre est digne d'un collectionneur ! " - essayant de ne pas paraître trop enjoué ni trop mort d'inquiétude. Un curieux mélange qui me donnait plus qu'envie de fumer à nouveau mon paquet entier.
- Ah bien, a repris mon interlocuteur depuis son bureau de Paris, j'ai lu votre travail et j'avoue que certains passages sont... Intéressants. Non dénués d'humour par exemple. Vraiment, votre bouquin n'est pas mauvais, pour un premier, c'est pour ça que je vous appelle.
Mon coeur était en train de dévaler le train de la mine à Disneyland.
- Heu, merci. Et, est ce que... ?
- Mais j'avoue qu'on a souvent des histoires de ce genre ces derniers de temps, ce n'est pas du tout " novateur " bien que le style soit bon. Je ne voudrais pas vous froisser, hm, M. Styles, mais personne n'achètera votre roman. Du moins, ce ne sera pas un best seller.
Je me suis mis à gratter compulsivement le bois de la petite table basse. Un best seller ? Et qu'est ce que j'en avais à foutre ? Je voulais juste qu'il soit édité moi, pas gagner des millions ni le voir entre toutes les mains des ménagères de France. Bien entendu, ça n'avait pas l'air d'être l'avis de Mr mon potentiel éditeur, qui devait voir entre chacune des mes lignes de nouvelles liasses de billets.
- Je comprends... Et... Nous pourrions nous rencontrer ou... ?
- Je suis désolé mais je n'ai absolument pas le temps pour ça, par contre si vous vous mettez à l'écriture de quelque chose d'original, je serais ravi d'être le premier au courant. Nous pourrions nous arranger alors. Pour le moment je ne peux que vous offrir cela, et vous assurer que vous avez un réel talent.
J'ai eu soudainement envie de raccrocher ou de lui dire le moins poliment possible d'aller se faire foutre. Alors c'était donc ça, le monde de l'édition ? Flairer un nouveau talent, refuser sa première oeuvre pas assez " novatrice " mais assurer l'avenir en lui faisant miroiter un contrat ? Mes mains étaient devenues blanches à force de serrer la table basse.
- D'accord. Et merci, je suppose.
- A bientôt Mr Styles ! J'espère avoir de vos nouvelles très vite !
Il a raccroché. Je suis resté à fixer le tableau d'art moderne jusqu'à ce que le point rouge au centre ne devienne plus qu'une tâche trouble.
*
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Vertiges - Larry Stylinson
FanfictionHarry s'enlise dans une vie qu'il n'a pas choisi. Il voit ses rêves couler entre ses doigts, incapable de les rattraper. Un soir, le regard d'une inconnue le fera réagir, et il s'enfuira au bord de la mer, là où personne ne pourra le retrouver. Lent...