Partie I : Errances.

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Ennui, lassitude, enfers, damnations. Peut-on considérer comme une victoire le fait de renoncer à tous ses plaisirs ?

Un mois sans sécher aucun cours, sans rien faire de réellement illégal ; il était indéniable que Willa s'était assagie. Le reste du monde pouvait enfin réaliser qu'elle pas une mauvaise personne, pas une ratée qui n'accomplirait jamais quoi que ce soit de quelque valeur que ce soit. Elle aussi pouvait rentrer dans le moule, elle y parviendrait.

Jadis, elle avait fait le bonheur de ses parents. Passionnée, joyeuse, précoce, talentueuse : tels étaient les mots employés pour la décrire. Elle était même considérée comme l'élève la plus talentueuse de son école de danse, en primaire.

Que s'était-il passé ?

Le changement avait dû être radical : c'étaient désormais les antonymes de ces mots qu'on utilisait pour la qualifier. Au fil des déménagements, la fillette passionnée par tout ce qui l'entourait s'était métamorphosée en adolescente désabusée, délaissée et moquée.

«Une clope » se dit-elle, « une clope, puis je vais au Parc,je rentre et je ferai mes devoirs. Parce que c'est le chemin qu'ils veulent que je prenne. » Aller fumer ne faisait certes pas particulièrement partie du chemin qu'on voulait l'obliger à prendre, ne faisait pas partie de l'existence réglée comme du papier à lettre qu'on voulait la voir mener – vie qu'elle aurait probablement adoptée sans même s'en rendre compte dans une autre existence, on appelait ce processus la reproduction sociale.

Mais quelque chose en elle n'était pas normal, et le lavage de cerveau n'avait pas fonctionné. Au grand damne de tout ce que cette petite ville comptait d'instituteurs, de prêtres, de conseillers d'orientation, de parents, ou même d'adolescents... Une inadaptée courait ses rues ; incapable de se lier d'amitié avec quiconque – bien qu'elle n'en ait jamais exprimé l'envie, de toutes façons.

Et voilà que, alors qu'elle en était venue à penser que, peut-être que la raison pour laquelle on voulait la voir rentrer dans un moule, c'était parce qu'il faisait bon être comme tout le monde. Alors, elle se forçait à obéir aux règles, depuis un mois jour pour jour, ne voyant pourtant aucune amélioration à sa vie sociale ou affective. Si elle disparaissait, les journaux locaux feraient sûrement de gros tirages, avec un titre accrocheur, tel que : «Elle aimait tellement les mystères qu'elle en est devenue un.», merci John Green.

Elle n'aimait même pas vraiment les mystères. Moins qu'on ne le pensait, du moins. Seulement, discuter de choses insignifiantes ne la passionnait guère, et Willa ne se voyait pas parler des heures durant de tous les moyens qu'elle pourrait mettre en œuvre pour séduire un garçon. Même si, apparemment, tel était le sujet de conversation préféré des filles de son âge.

Elle alluma prestement une cigarette à l'aide de l'un des briquets qui la suivaient partout comptant précipitamment le nombre de bâtonnets encore intacts.

Quatorze.

Elle tira une grande bouffée de tabac en protestation contre le lycée et ses convenances.

Une seconde pour que ses parents la laissent vivre.

Une troisième pour que cesse cette perpétuelle sensation d'étouffement.

Une quatrième contre toutes les règles supposées régir sa vie.

Une cinquième pour tout ce qu'elle voulait vivre.

Une sixième pour que les demoiselles qui passaient devant elles cessent de la regarder en gloussant.

Une septième contre le prix du tabac, qui ne cessait d'augmenter.

Les envoyés de LambakkaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant