Les envoyés de Lambakka

Chapitre 1, où l'on tombe de haut.

Un tigre blanc vraiment immense et, même si elle en avait vu beaucoup, à la télévision, ou au cinéma, il est très différent de regarder comment Pi s'en sort que d'être soi-même Pi. Et à ce moment précis, elle n'en avait que faire de savoir qui elle était, de l'indien ou de la semi-égyptienne. Tout ce qu'elle savait, c'était qu'elle allait très probablement trépasser, puisqu'elle était bien incapable de bouger.

Sauf qu'elle n'était pas en train de voir toute sa vie défiler devant ses yeux.

Elle aurait pu se voir de nouveaux, heureuse, libre, complète ; à la simple vue d'un des paysages Norvégiens à couper le souffle...

Mais non, la dernière image qu'elle aurait en trépassant serait le Parc ; sauf qu'en fait non, puisqu'elle n'était apparemment plus dans le Parc.

Ce qui devait être logique puisque jamais cette bestiole n'aurait pu y entrer. Même les chiens tenus en laisse et avec une muselière n'y étaient pas toujours accepté.

Ce qui était plutôt ironique, c'était que, quel que soit l'endroit dans lequel elle se trouvait désormais ; Willa le trouvait conforme au souhait qu'elle avait formulé quelques minutes plus tôt : recouvert d'une épaisse couche de neige. Elle allait donc se faire dévorer par un tigre blanc magnifique, dans un lieu inconnu ; mais au moins serait-il recouvert de neige, histoire de lui faire plaisir dans son malheur.

Tiens, elle se serait bien allumé une autre cigarette, en attendant que le Tigre se décide à la manger. Est-ce qu'il y a quelqu'un ici ou c'est juste cet espèce de gros chat et moi ? Parce que, éventuellement, si une telle chose était possible ; elle aurait bien aimé que quelqu'un vienne à sa rescousse. Quelqu'un qui, par le plus grand des hasards, aurait aussi la bienveillance de lui expliquer où elle était.

Mais elle ne pouvait pas vraiment savoir si, oui ou non, il y avait quelqu'un puisqu'elle n'arrivait pas à détacher ses yeux de la splendeur du fauve. Elle savait qu'elle vivait probablement ses dernières secondes, et pourtant, elle se sentait infiniment reconnaissante envers le destin de lui avoir permis de rencontrer un vrai tigre blanc en liberté d'aussi près. Sérieusement, elle n'avait rien d'une adoratrice des animaux, quels qu'ils soient. Elle n'aimait même pas vraiment les chats... Mais là ce n'était pas pareil. C'était la plus belle chose qu'elle ait vu de sa courte vie. Elle aurait même aimé l'immortaliser.

Mais un cri survint et gâcha la perfection du moment. Qui est cet idiot ? grimaça Willa. Après tout, elle avait très bien réussi à surmonter sa propre terreur, et il était évident que la personne qui venait de crier n'était pas celle sur le point de se faire dévorer par une bête qui la regardait de haut en retroussant les babines.

Que son pelage est beau ! Elle aurait aimé y plonger ses doigts. Mais ça aurait été porter offense à la bestialité de son adversaire. Il semblait être une sorte de force de la nature, un élément indomptable ; et de sa puissance venait sa magnificence.

Mais le perturbateur recommençait à s'égosiller derrière Willa, l'obligeant à s'arracher au pouvoir hypnotique des yeux du félin pour tourner son visage à l'expression exaspérée vers un garçon qui devait avoir son âge. Mais il était impossible à Willa d'en juger, car sa tête à lui était déformée par la terreur... Et puis, il s'obstinait à ordonner à l'adolescente de s'écarter et, même si elle détestait recevoir des ordres, elle devait bien avouer que cette fois-ci, c'était différent. Et justifié, surtout.

Aussi s'exécuta-t-elle, et après s'être décalée de deux bons mètres, elle retourna à une passive contemplation du fauve. Mais qu'attendait-il bon sang ? Il aurait dû faire quelque chose, au lieu de l'observer en rugissant. N'était-ce pas ainsi que devait agir un tigre ? Dans l'Odyssée de Pi, c'était bel et bien ce que faisait Richard Parker. Il attaquait sans réfléchir et Pi ne devait sa survie qu'à... A rien, en fait. A la volonté du réalisateur. Au destin.