Chapitre 3, où la mascarade pourrait se révéler incontrôlable.

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Le repas se passa dans une ambiance bien étrange. Willa, définitivement gênée de se trouver en ces lieux, ne tarda pas à réaliser qu'elle n'avait aucun moyen de s'échapper : partir avant la fin du repas aurait aggravé son cas, énervé la famille d'Eddy, ainsi que la personne qui avait préparé ledit repas... Et elle n'avait aucun désir de se faire assassiner dans son sommeil pour avoir refusé de manger trois patates.

La famille d'Eddy s'approchait de celle dont Willa avait toujours rêvé. Même s'ils la regardaient tous d'un drôle d'air, lui reprochant - à juste titre - de leurs subtiliser leur fils, ou frère.

L'égyptienne observait ses hôtes comme un scientifique observe les résultats de ses expériences, se demandant ce qui a mal tourné. Comment pouvaient-ils dégager une telle unicité alors que, finalement,  ils ne se connaissaient pas ? Comment les sœurs du garde pouvaient-elles l'observer avec une telle dévotion alors qu'elles ne savaient probablement rien de lui ?

Willa ne pipait mot de ses réflexions, sachant bien qu'elle n'était guère invitée à s'exprimer dans la conversation.

Lorsque le festin prit enfin fin, l'aîné de la fratrie (à savoir Eddy) demanda à sa protégée de le suivre dehors, ce que Willa accepta de bon cœur. Elle se sentait vraiment mal à l'aise dans cette maison, c'était comme si elle avait trahie la famille entière, pour l'obliger ensuite à l'héberger, le tout en lui témoignant un apparent respect. Peut-être était-ce là la première injustice qu'elle commettait en tant que Tribut, et peut-être que personne ne pouvait rien dire contre cela ; mais cela la dérangeait énormément.

Ce qui la mis le plus mal à l'aise fut le moment où elle comprit que la raison pour laquelle Eddy l'avait faite sortir était qu'elle devait choisir un cheval.

- Non. Je ne peux pas. Et puis, je ne sais pas ce que j'en ferais, d'un cheval. Je ne suis même pas capable de monter sur le dos du tiens toute seule...

- Tu ne comptes quand même pas faire deux jours de voyage derrière moi sur le même cheval ? Je sais que tu n'aimes pas spécialement Arsenic, mais ce n'est pas une raison pour le torturer ainsi.

Voyant que Willa hésitait encore, l'autre ajouta :

- Et c'est plus pratique lorsqu'on peut mettre une selle.

L'aventurière fut ravie d'apprendre que, dans ce monde aussi, les selles existaient. Son savoir en matière d'équitation n'allait certes pas plus loin que ses réminiscences de quelques épisodes de Grand Galop, mais il lui avait toujours semblé que cela devait être à la fois plus confortable et plus pratique d'en posséder une. Il fallait bien une raison à l'invention de cette chose, de toutes façons. Même s'il était plus sexy et impressionnant de ne pas en utiliser. Quoi qu'il en soit, Eddy ne semblait pas lui laisser le choix. Il comptait l'obliger à voler un cheval appartenant à ses parents, qu'elle le veuille ou non. Alors, autant qu'elle le choisisse elle-même, selon ses propres critères de compatibilité.

Aussi entra-t-elle dans l'écurie, son guide sur les talons. Ce lieu ressemblait à s'y méprendre à celui qu'elle visitait, plus jeune, lorsqu'elle jouait à Alexandra Ledermann

L'égyptienne inspira une grande bouffée d'air poussiéreux et, alors qu'une quinte de toux s'emparait-elle, un étrange effet comparable à la madeleine de Proust la ramena quelques semaines en arrière, dans le bureau du vieux psychologue que ses parents l'avaient obligée à consulter, rendus fous d'inquiétudes par les comportements borderline de leur fille unique et adorée. Elle ne semblait pas capable de vivre comme une adolescente normale ; et ils ne pouvaient s'empêcher de se demander si elle était réellement socialement inadaptée..., ou bien si toutes ses pertes de mémoires, crises de somnambulisme, terreurs nocturnes ; toutes ses fugues, toutes ses crises de nerf si impressionnantes où elle s'arrachait les cheveux, criait à s'en briser les cordes vocales, pleurant des océans et griffant son front comme s'il refermait la cause de tout mal... Oui, ils se demandaient dans quelle mesure ces étrangetés étaient les appels à l'aide d'une adolescente qui elle ne supportait plus ce monde ; et quelle portion d'entre elles n'étaient qu'une simple demande d'attention ?

Les envoyés de LambakkaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant