Meredith a pris la fâcheuse habitude de me traîner presque tous les dimanches dans des vides greniers, depuis qu'elle a découvert que la plupart des personnes qui se débarrassent de leurs affaires sont des bourges, dans le coin. Elle frappe à ma fenêtre à six heures du matin, esquivant ainsi mes parents et leurs questions sur sa mère et autres conneries du genre, sans penser au fait que je sois certainement en train de rêver d'un mec canon quelconque ou de Michael Clifford, ou que ce soit simplement dimanche et que j'ai envie de passer ma journée en pyjama, à mater Adventure Time en enchaînant les galettes de riz au chocolat. Non, bien sûr que non. Je préfère m'avaler trois cachets de cétirizine pour mes allergies et la suivre au milieu des vieux lustres, des longboards défoncés à vingt dollars et des deux-trois fringues potables qui sortent du lot. J'ai que ça à foutre.
- Tu la trouves comment? me demande-t-elle en brandissant une robe jaune poussin, qui me donne envie de vomir dès que je me retourne.
Elle se regarde durant de longues minutes devant le miroir qu'a pris la peine d'installer la propriétaire du stand et ne cesse de tourner sur elle-même pour faire voler le bas de la robe, comme dans les films avec des princesses qu'on regardait ensemble quand on était gamine. J'ai un mal de tête atroce, et la regarder bouger avec ce truc immonde le transforme en une abominable migraine. Si seulement je pouvais utiliser la lampe de chevet du stand d'à côté pour me cogner la tête...... si seulement.
- Robin !
- Quoi, je lui répond sèchement, le regard dur, agacée d'être plantée comme une pauvre cruche devant un tas d'habits tous plus laids les uns que les autres parce que mademoiselle Meredith a décidé de changer de style et a opté pour un mélange vintage/hipster.
- Rah, fais pas la gueule, c'est bon, t'avais qu'à me dire que tu voulais pas venir et...
- ... et tu m'aurais fait du chantage pour que je vienne quand même.
- Elle me sourit stupidement avant de répondre, reposant la robe : possible.
Je m'apprête à la traîner derrière moi puis laisse tomber lorsque je m'aperçois qu'elle a mis son nez dans une caisse de gros pulls en laine et négocie avec une fille à peine plus âgée que nous. Tant pis. Je m'aventure un peu plus loin dans l'allée, les bras croisés pour me réchauffer le bout des doigts, et enfonce le bas de mon visage déjà pâle dans mon écharpe. Mes yeux vagabondent le long des quelques stands semblant un minimum intéressant jusqu'à ce que mes pieds ne se clouent sur place, devant une table débordante de vieux livres. Les couvertures sont pour la plupart bien propres mais mon regard s'arrête sur un bouquin couvert de poussières, et dont les pages jaunies ne demandent qu'à être tournées. Mes doigts glissent tout autour alors que j'hésite à m'en emparer, regardant de tous les côtés pour voir si quelqu'un m'observe.
Avec la manche de ma veste, je retire la fine pellicule blanchâtre qui m'empêche de lire le titre. Voodoo doll est écrit en minuscule et en dessous est dessiné une poupée transpercée par de nombreuses aiguilles, et dont tous les membres sont délimités par d'épais fils. J'ai l'étrange impression de revisiter l'univers de Tim Burton, avec ce large sourire de l'ange en travers du visage, ce corps frêle et diaphane, et le noir omniprésent. Mais ce qui me marque le plus, c'est ce coeur rouge et en relief dans lequel s'enfonce une dizaine d'épines.
- Trois dollars.
Je relève subitement la tête, manquant de me faire un torticolis, et me retrouve face à une bonne femme ronde à la chevelure rouge vive.
- Pardon?
- Je vous le laisse pour trois dollars, ses grandes mains s'emparent du livre et déchire l'étiquette. J'ai à peine le temps de lire le prix d'origine qu'elle passe une ficelle rouge tout autour du manuel et me le tend, ses longs ongles noirs grattant la couverture.
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the boy who blocked his own shot.
Historia Cortaoh, but don't you know? the biggest cynics are also hopelessly romantic ; they just hide it better.