Chasseuse de l'ombre Vox Angeli

Prologue

18 ans auparavant

Royaume, salle du trône.

Je tombai à genoux sur le sol de la salle du trône, la tête baissée, sous le regard de l'Ange et des sept archanges. Mes ailes n'avaient jamais pesé aussi lourd dans mon dos. Elle avait quitté le Royaume. Elle était partie. Par ma faute. Hier, il y avait eu son corps, son esprit mêlé au mien. Ses lèvres. Mes bras noués autour d'elle, son souffle dans mon cou. Et maintenant plus rien. Son regard me hantait. Je n'oublierai jamais ce sentiment de trahison alors que je lui disais toutes ces choses horribles, idiotes, que je ne pensais même pas. Elle avait besoin de réconfort. Et je l'avais laissée tomber.
-Relève-toi 'Aziehl, mon fils. Fais honneur à ton Royaume, rachète-toi et je pourrai oublier ta trahison.
-Je n'ai nullement trahi mon Royaume. J'ai fait tout ce que vous m'avez dit. J'ai renoncé à elle pour la protéger. Je réalise seulement maintenant que c'était une grave erreur, crachai-je sans lever les yeux vers mon créateur, le premier archange Michael.
Aurore, l'Ange, posa sa main sur mon épaule. Les pans de sa longue robe vaporeuse envoyaient des ombres étranges s'étaler sur les hauts murs de la salle du trône. Elle savait depuis le début. Et elle n'avait rien fait pour nous séparer, jusqu'à maintenant.
-Cette relation était vouée à l'échec. Vos avenirs sont différents, 'Aziehl. Elle suit son chemin, tu dois l'accepter. Tu ne peux pas interférer, personne ne le peut.
Je me relevai, ignorant sa main et son ton réconfortant. Non. Je ne pouvais pas l'accepter. Pas après des siècles à essayer de la conquérir, à attendre, à réprimer mes émotions, mes sentiments. Je ne pouvais pas la perdre ainsi. J'affronterai les sept archanges et tous les déchus de Mal Caelis si cela me permettait de la revoir encore une fois. Aurore comprit immédiatement ce que je m'apprêtais à faire. Elle pinça les lèvres et secoua la tête.
-Ton devoir t'attend. C'est ton destin, suis-le. Il te mènera à des choses fabuleuses, ajouta doucement l'archange Gabriel.
-Vous parlez de chemin, de destin tracé, mais que faites-vous du libre arbitre ? L'oubliez-vous ? Rien n'est jamais écrit à l'avance, même si vous vous échinez à vouloir le croire. Je refuse de continuer.
Michael émit un sifflement furieux.
-Tu sacrifierais ta place dans ce monde pour elle ? Renonce, c'est terminé. Elle s'en est allée, mon fils. Elle a préféré honorer le Royaume que cet... amour en lequel tu t'obstines à croire.
-Je sacrifierais ma vie pour elle, fis-je sans lui prêter attention.
-Et c'est ce qui te mènera à ta perte, siffla sombrement l'archange Asräel.
Je balayai l'assemblée du regard.
-Je la retrouverai. Avec ou sans votre aval.
Mon créateur se leva de son trône d'argent.
-Tu ne feras rien ! hurla-t-il. Tu demeureras ici ! Je ne te permettrai pas de tout ruiner pour un caprice sentimental insensé ! Cette mission est sienne !
Le regard ambré d'Aurore se planta dans le mien. Elle avait deviné mes desseins depuis bien longtemps.
-Si elle ne te reconnaît pas, si elle ne t'aime plus, tu ne pourras pas revenir en arrière. En es-tu conscient ? N'oublie pas la raison pour laquelle elle a accepté cette mission.
J'acquiesçai. Si elle me disait de partir, je le ferais. Je voulais seulement la voir une dernière fois. Je voulais lui expliquer... Et m'excuser davoir été un pareil idiot. Je me mis à genoux devant Aurore et sortis une dague de ma ceinture. J'entaillai mon poignet, d'où un filet de sang se mit à couler.
-J'en suis conscient. C'est pour cela que je demande laffranchissement.
Les archanges montrèrent leur désapprobation alors que mon sang souillait le sol sacré, s'infiltrant dans la terre comme pour la marquer de notre accord. Aurore prit la dague. Elle l'appuya sur sa paume et recueillit une goutte de sang. Elle ferma les yeux. Son pouce se plaça au milieu de mon front et traça le signe divin.
-Tu es libre d'aller où bon te semble, tu n'es plus un combattant. Au nom de ton amour, je t'affranchis. Nul ne pourra contredire cela et tu ne pourras plus jamais reprendre ta place au trône d'argent aux côtés de ton créateur. Puisse ton destin être celui auquel tu aspires.
Je me relevai, rengainant la dague maculée de mon sang. Les archanges croyaient que ce n'était qu'une passade. Ils étaient persuadés qu'elle n'était qu'une conquête ayant blessé mon ego et que j'allais revenir les supplier à genoux. S'ils comprenaient à quel point ils se trompaient, les choses seraient bien différentes. Seule Aurore pouvait ressentir la profondeur de mes sentiments. Dailleurs, je ne comprenais toujours pas pourquoi elle me laissait faire. Il y avait quelque chose là-dessous. J'avais le pressentiment que nous ne mettrions pas longtemps à le découvrir.
-Non ! C'est mon fils, ma création, je l'interdis ! s'écria Michael.
-Aurore, vous n'allez pas laisser faire ça... s'indigna Raphaël.
L'Ange les regarda un à un, laissant son pouvoir exhaler de tous ses pores. Instantanément, les archanges baissèrent la tête.
-Je ne peux rien contre sa volonté. S'il veut s'en aller, rien ne le retient. Auriez-vous quelque chose à me dire ? demanda-t-elle d'une voix aussi tranchante qu'une lame forgée dans les feux de Mal Caelis.
Personne ne parla. Bien. Je marchai vivement vers le portail. J'allais la rejoindre. Mais avant que je puisse passer, une main me retint.
-Ce n'est pas la solution, tenta encore de me persuader Aurore à voix basse. Je ne doute pas de ton amour pour elle, mais es-tu vraiment certain qu'il soit réciproque ? Tu vas tout perdre. Tout va changer.
Je me détournai.
-Il ne l'est peut-être pas, mais je ne peux pas continuer sans elle. Elle est mon monde. La seule chose que je pourrais perdre, soufflai-je douloureusement.
Aurore me lâcha. Je mavançai dans le portail.
-Notre destin à tous va changer. Vous allez souffrir.
Je ne m'arrêtai que le temps de prendre une profonde inspiration.
-Nous avons déjà souffert.
-Ce n'était rien à côté de ce qui vous attend...
Plus qu'un avertissement, ces paroles résonnèrent comme une funèbre promesse.