Son corps ne répondait à aucune de ses injonctions mentales et la réalité la heurta de plein fouet, épouvantable et cruelle.
Elle était paralysée. Incapable de bouger, de se défendre, de fuir. Totalement à la merci de ce malade de Sorokine.
Venez me chercher, venez me chercher, venez me chercher…
La supplique tournait en boucle dans sa tête, inlassable SOS muet et vain.
Impuissante, elle sentit des mains s’emparer d’elle sans ménagement et se retrouva chargée sur une épaule masculine, tête en bas, la respiration coupée, la clavicule de l’homme lui rentrant douloureusement dans l’estomac.
La nausée monta en elle dès qu’il se mit à marcher et tout son corps se couvrit d’une sueur glacée.
Un instant, un court mais atroce instant, Mia crut que la panique allait gagner la partie.
Elle s’exhorta à rester calme, appela à elle toute son expérience et tout ce qu’on lui avait enseigné.
Il fallait qu’elle se concentre sur les moyens de s’en sortir. Et s’en sortir signifiait rester en vie.
Elle n’avait guère d’illusions sur ce qu’allait lui faire subir Sorokine… Mais cela n’allait pas la tuer.
Non…
Elle devait d’ores et déjà anticiper l’après… Quand il lui aurait fait ce qu’il voulait lui faire et qu’elle n’aurait pas plus d’utilité qu’une poupée gonflable percée.
Il fallait qu’elle reste en vie. Qu’elle le convainque de ne pas la tuer.
Sauf qu’elle était incapable de parler. Ou de bouger. Ou de se battre pour sa vie.
Elle était totalement livrée au bon vouloir de ce connard de Sorokine.
La panique revint au galop et sans qu’elle ne puisse les retenir, des larmes chaudes s’échappèrent de ses paupières et brouillèrent sa vue.
Son malaise physique allait grandissant. Elle était incapable de déterminer si cela était dû aux effets de la drogue ou à sa position plus qu’inconfortable, le sang lui montait à la tête et elle avait de plus en plus de mal à garder les yeux ouverts.
Finalement, vu ce qui l’attendait, ne valait-il pas mieux qu’elle sombre dans l’inconscience ?
Non !
Fais ton boulot ! Fais ce que tu sais faire !
Elle s’efforça de maîtriser sa respiration. Comme à l’entraînement. Inspirer. Expirer. La clé de la maîtrise de soi.
Ok…
D’abord, observer et recueillir le maximum d’informations.
Ce qui la frappa, c’est qu’ils n’étaient pas repassés par la salle du cercle de jeu, là où leur équipée aurait pu attirer l’attention. À la place, ils avaient emprunté une porte située au fond du couloir où étaient les toilettes.
Elle sentit qu’ils descendaient quelques marches puis remontaient peu après et elle comprit qu’il s’agissait de l’accès direct entre le cercle de jeu et le club.
Frénétiquement, elle tentait de mémoriser le trajet qu’ils effectuaient.
Mia était suffisamment lucide pour savoir que cela ne servirait à rien. Mais cela lui permettait de ne pas penser à ce qui l’attendait. Cela lui permettait de faire refouler la panique, qui restait tapie tout près, qui attendait de bondir à nouveau.
— Dépose-la ici.
La voix de Sorokine.
L’homme qui la portait la jeta sur une surface dure. La douleur vrilla dans son dos et elle laissa involontairement échapper un gémissement rauque.
Sa tête ballotta sur le côté, sans qu’elle puisse la retenir. Les hommes étaient sortis de son champ de vision. Elle tenta d’ajuster sa vue pour distinguer les formes qu’elle voyait. Un mur. Un fauteuil. Des cadres au dessin abstrait.
Elle perçut de la musique assourdie.
Le bureau de Voronov…
Elle se trouvait dans le bureau de Voronov, au club qu’elle avait quitté quelques heures plus tôt.
Dans le bureau et sur le bureau…
Cet enfoiré de Sorokine voulait la baiser sur le bureau de son patron.
— Tu peux nous laisser.
À ces simples mots, la douleur s’installa en elle, lentement mais sûrement. Comme distillée par son organe vital qui se mit à battre à une vitesse folle, à la limite du supportable. Sa gorge se serra jusqu’à ne plus laisser passer qu’un mince filet d’air.
On y était… Plus moyen d’y échapper.
Jake et Ryan n’étaient pas venus la sauver. Ils n’étaient pas là.
Un sentiment qu’elle n’avait plus ressenti depuis longtemps resurgit du tréfonds de son âme et la gagna tout entière. Mia le reconnut sans peine, à sa couleur sombre et son vide abyssal. Le désespoir.
Elle pensait l’avoir chassé de sa vie lorsqu’elle avait laissé le passé derrière elle et trouvé sa voie grâce à l’Organisation, rencontré ceux qu’elle considérait comme ses amis, sa famille. Jamais elle n’aurait cru possible de l’éprouver à nouveau alors que ceux à qui elle faisait le plus confiance étaient sans doute à quelques centaines de mètres d’elle.
Pourtant, les secondes s’écoulèrent, interminables, sans que rien ne se passe, sinon la montée inexorable de son angoisse.
Elle percevait la présence de Sorokine, tout près d’elle, et pourtant il ne la touchait pas.
Il l’observait. Il savourait la situation. Il se demandait par où commencer son festin. Il jouait avec ses nerfs.
L’attente devint insupportable, intolérable. Mia ne percevait plus que le bruit de son cœur, dont elle avait l’impression qu’il battait si fort que même les clients qui dansaient et s’amusaient de l’autre côté de la cloison devaient l’entendre.
Soudain, Sorokine saisit ses chevilles et l’attira brutalement vers lui tout en lui écartant les jambes, mouvement qui eut pour effet de remonter sa robe au-dessus de ses hanches et de la laisser exposée au regard de son agresseur avec pour seule protection sa culotte en dentelle noire.
Lorsqu’elle se souvint avec quel soin elle avait choisi ses sous-vêtements, Mia faillit bêtement éclater en sanglots. Mais l’effet de la drogue lui interdisait même cela. Les larmes coulaient en abondance, mais silencieusement le long de ses tempes.
— Pas mal, commenta Sorokine. Ça fait longtemps que je n’ai pas baisé une noire. J’ai hâte de te goûter…
Il s’installa entre ses jambes, les écartant largement. Comme dans son pire cauchemar, Mia sentit la bosse de son érection à travers son pantalon se presser contre son intimité.
NON !
Elle s’était trompée sur toute la ligne ! Elle n’allait pas le supporter… Elle ne s’en remettrait pas…
Brutalement, Sorokine lui saisit le menton de la main droite et lui redressa la tête, vrillant ses pupilles troubles aux siennes.
— Je veux que tu me regardes, gronda-t-il.
Mia ne put qu’obéir à ses ordres. Totalement impuissante, elle était incapable de faire le moindre mouvement.
Les yeux de Sorokine la détaillaient avec la froideur calculée d’une araignée qui avait capturé un minuscule insecte dans sa toile.
De son autre main, il saisit le haut de sa robe et tira d’un coup sec. L’étoffe céda et dévoila la poitrine de Mia.
Son fragile soutien-gorge subit le même sort.
Le bruit du tissu qui se déchirait retentit comme un cri qu’aurait poussé Mia.
L’air froid caressa la peau de Mia qui se couvrit de chair de poule.
Sorokine se pencha sur elle et la recouvrit de son corps, empoignant l’un de ses seins, le malaxant sans ménagement.
Il resserra sa prise sur sa mâchoire et ses lèvres sèches se posèrent sur les siennes, l’odeur de son haleine alcoolisée emplit les narines de Mia alors que sa langue fouillait sa bouche.
Soudain, il mordit férocement sa lèvre inférieure.
La douleur contracta l’estomac de Mia, exacerbée par le fait qu’elle ne pouvait ni bouger ni crier. Une douleur concentrée, démultipliée. Atroce.
Le goût du sang envahit sa bouche et la souffrance se mit à battre à ses tempes.
Non. Il fallait que ça s’arrête.
À ce moment-là, Mia comprit avec une lucidité amère que si la cavalerie n’arrivait pas, cette nuit serait la plus longue de sa vie.
Comme pour lui donner raison, Sorokine descendit lentement sa bouche vers sa poitrine. Il posa sa tête entre ses seins et Mia perçut la sensation de l’émail lisse de ses dents qui raclait le bord de son sein gauche.
Une douleur fulgurante et abominable déferla, vague immense qui emporta tout sur son passage.
Le hurlement intérieur de Mia fut tellement intense qu’elle crut que sa tête allait exploser. Que son âme allait imploser, prisonnière de ce corps, de cette souffrance.
Il l’avait mordue. Putain, il l’avait mordue !
Et la douleur était telle qu’elle était sûre qu’il avait arraché un bout de chair.
Sorokine releva la tête et la dévisagea, la bouche ensanglantée, un sourire fou déformait ses traits.
— Maintenant, tu portes ma marque, ricana-t-il.
L’espace d’un instant, Mia redevint la petite fille terrifiée qu’elle avait été jadis. Tout son entraînement était oublié. Elle savait que si elle avait pu parler, elle aurait sangloté et supplié Sorokine.
Alors lorsqu’elle sentit les mains de Sorokine se poser sur son ventre, elle s’échappa avec le seul moyen dont elle disposait. Elle ferma les yeux et se terra au plus profond d’elle-même, priant pour que la douleur lui apporte au moins le soulagement de l’évanouissement, implorant pour que le néant vienne à son secours.
Mais brusquement, le poids de Sorokine sur elle disparut. Le froid l’assaillit à tous les endroits dénudés de son corps. Elle aurait voulu se recroqueviller sur elle-même mais elle était toujours inerte. À subir. Encore.
Une main chaude se posa sur sa joue, caressa son visage avec tendresse.
— Bon sang, ma belle… On a fait aussi vite qu’on a pu.
Un ton inquiet. Une voix réconfortante.
Ryan.
Les mains quittèrent son visage et refermèrent doucement ses jambes, rabattant sa robe sur ses cuisses.
Les pleurs de Mia redoublèrent, exprimant par le seul moyen possible le chaos de ses émotions. Pleurs de soulagement. Pleurs de joie.
Pleurs qui semblèrent inquiéter encore plus Ryan.
— Eh ma belle, ça va aller… On va te sortir de là.
Il jura tout bas et elle comprit qu’il avait vu la morsure.
Elle entendit un bruit de vêtement froissé et une étoffe recouvrit sa poitrine. L’odeur de Ryan l’enveloppa. Sa chemise. Il l’avait couverte avec sa chemise.
— Merde, murmura-t-il. Qu’est-ce qu’il t’a fait ?
— Elle est blessée ? demanda une voix étouffée et essoufflée, à quelques mètres d’elle.
Un nouveau sentiment vint s’ajouter au maelström d’émotions tourbillonnant dans l’âme de Mia. Le plus terrible des sentiments.
La honte. Elle ne voulait pas que Jake la voit. Pas comme ça.
— Ça va aller. Il faut qu’on la sorte de là.
Ryan la souleva et la cala contre sa poitrine, la serrant doucement contre lui, provoquant en elle, malgré sa douleur, un sentiment de sécurité.
Elle se força à entrouvrir les yeux.
Sorokine gisait par terre, Jake à ses côtés. Mia savait qu’il n’était pas mort.Simplement neutralisé. Ils avaient besoin de lui vivant pour le moment. Mais si elle avait pu parler, elle aurait demandé à Jake et Ryan de le tuer. Et ils l’auraient fait.
Cette pensée la réconforta.
Quand ils sortirent, Mia vit également l’homme qui l’avait portée sur ordre de Sorokine. Lui aussi était allongé au sol, devant la porte.
Ils passèrent un long couloir sans rencontrer personne et traversèrent la discothèque sans attirer les regards. Pour les clubbeurs, elle n’était qu’une fille soûle raccompagnée par ses amis.
Lorsqu’ils franchirent la porte d’entrée, l’air frais de la nuit agressa les sens de Mia. En réaction, tout son corps se mit à trembler. Les effets de la drogue se dissipaient.
Percevant son malaise, Ryan lui murmura des paroles apaisantes, puis il s’adressa à Jake.
— On prend la voiture. On reviendra chercher le van plus tard. On ne peut pas prendre le risque d’être rattrapé et le van est trop lent.
— Ok. Tu conduis. Je l’examinerai à l’arrière.
Jake était le secouriste de l’équipe. Il avait son diplôme d’infirmier et était capable d’évaluer les besoins médicaux.
Mais là, Mia aurait tout donné pour que Jake ne la voit pas comme ça.
Faible. Impuissante. Démunie.
Tellement faible, impuissante et démunie qu’elle avait laissé un enfoiré la marquer.
VOUS LISEZ
L' Organisation - Traquée (Contrat d'édition HACHETTE BMR)
Mystery / ThrillerElle fera tout pour le séduire, quitte à se brûler les ailes... car dans le monde de l'espionnage, les apparences sont toujours trompeuses. Mia, agent de l'Organisation, est chargée de surveiller Boris Voronov, un influent chef mafieux. Mais à deu...