Le réveil du corps de Mia s’exprimait par de longs tremblements qui la secouaient de la racine des cheveux aux orteils et contractaient douloureusement ses muscles.
Jusque-là, tous ses sens avaient été comme exacerbés par l’impossibilité de bouger.
Mais à mesure qu’elle retrouvait quelques sensations, la lassitude qu’elle avait ressentie quand les effets de la drogue avaient commencé à se répandre dans son organisme resurgissait.
Elle laissa ses paupières se fermer, bercée par les pas de Ryan, incapable de garder les yeux ouverts.
La voix de Ryan lui parvint comme étouffée.
— Reste avec nous. Il faut tenir le coup encore un peu, lui ordonna-t-il d’un ton pressant en la serrant doucement contre lui.
Comme dans du brouillard, elle perçut le bruit d’une portière que l’on ouvrait.
— Dépose-la sur la banquette, dit la voix de Jake. Non, pas couchée. Laisse-la assise. Elle pourrait s’étouffer si elle vomit.
Mon dieu.
Aucune honte ne lui serait épargnée. Voilà qu’il l’imaginait en train de vomir.
Elle sentit que Ryan la déposait sur la banquette arrière de la voiture, et elle regretta aussitôt sa chaleur et le sentiment de sécurité qu’elle éprouvait dans ses bras.
Mais au moment où son corps inerte allait basculer sur le côté, un autre corps vint se presser contre elle. Tout aussi chaud, solide et rassurant.
La voix de Jake lui parvint, impérieuse.
— Ouvre les yeux. Je veux que tu me regardes. Ouvre les yeux.
Si son corps était brûlant, aucune chaleur ne se dégageait de la voix de Jake. Son ton était froid, sans affect. Clinique. Aussi glacial qu’impassible.
Quelque part, Mia en fut presque heureuse. Malgré les événements de ce soir, rien n’avait changé.
Ryan était affectueux et rassurant. Jake était insensible et insondable.
Et dénué de toute patience.
Il le démontra une nouvelle fois en l’arrachant à ses pensées sans dissimuler son exaspération.
— Mia, ouvre les yeux !
Si elle avait été dans son état normal, elle aurait tout fait pour lui désobéir, pour l’énerver, le faire réagir. Juste par plaisir.
Son jeu favori depuis qu’elle connaissait Jake, auquel elle avait toujours perdu jusque-là.
Ils étaient tellement différents tous les deux.
Physiquement d’abord puisque Jake était grand, blond avec les yeux bleus. Tout, dans son attitude et les lignes dures de son visage trahissait l’attitude rigide du militaire surentraîné.
Dans le caractère ensuite. Mia était enjouée, exubérante. Elle aimait s’amuser, profiter des plaisirs de la vie. Tous les plaisirs…
Jake était juste… dénué de sentiments. Les fois où Mia l’avait vu sourire se comptaient sur les doigts d’une seule main.
Alors, par jeu, Mia tentait de le faire sortir de sa zone de confort par des remarques toujours plus audacieuses et provocantes. Il demeurait impassible et se contentait de la fixer d’un regard froid.
Mais aujourd’hui, elle concentra toute sa volonté pour obéir à ses ordres.
Elle ne réussit à ouvrir les paupières qu’au prix d’un immense effort.
Son cœur manqua un battement quand elle rencontra le regard bleu acier de Jake.
Mince.
Avait-il l’air… inquiet ?
C’était la première fois qu’elle voyait une telle expression sur son visage… Elle n’allait pas si mal que ça quand même !
Elle tenta de lui prendre la main pour lui signifier que c’était terminé, qu’elle s’en remettrait. Mais elle ne parvient qu’à rester le regard rivé au sien. En réalité, sa main ne bougea pas d’un centimètre.
Ça n’allait peut-être pas si bien que ça finalement…
Les yeux de Jake se fixèrent sur sa lèvre et son expression se durcit.
Il leva la main vers elle, le regard rivé sur sa bouche et Mia referma les paupières par réflexe.
Instinctivement, elle voulut se reculer, échapper à cette main inquisitrice, mais elle ne put faire un mouvement.
Elle sentit distinctement les doigts de Jake effleurer la plaie laissée par Sorokine.
Immédiatement, les larmes perlèrent à nouveau au bord de ses paupières.
— Putain, maugréa Jake, ce connard l’a mordue à la lèvre.
Ryan soupira. Un soupir dont Mia et lui connaissaient parfaitement la signification.
Non. Il n’allait pas lui dire. Il n’avait pas à lui dire. Il…
— Il ne l’a pas mordue que là…, laissa finalement échapper Ryan.
Non !
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
Un silence s’installa avant que Ryan ne réponde, comme s’il pesait le pour et le contre.
— Regarde sous la chemise.
La honte submergea Mia, intense, cuisante, et comme dans un cauchemar, les doigts de Jake se posèrent sur le vêtement qui recouvrait sa pudeur.
Un cahot de la route les secoua soudain le véhicule et son corps inerte bascula contre Jake, sa tête se nichant dans son cou.
Il ne s’écarta pas mais au contraire bougea légèrement pour que Mia soit calée contre lui.
Son odeur, masculine, épicée, envahit les narines de Mia et contre toute logique des papillons prirent leur envol dans son estomac.
Mais comment pouvait-elle ressentir cela après ce qu’elle venait de vivre ? Cet homme avait-il réellement un tel pouvoir sur elle ?
Elle n’avait jamais été aussi physiquement proche de lui, à part dans ses rêves…
Ils avaient été seuls tous les deux un nombre incalculable de fois. Ils avaient partagé la promiscuité de la même voiture durant des heures de planque. Ils vivaient quasiment sous le même toit. Et pourtant, c’était la première fois qu’elle était si près de lui, elle qui avait souhaité cet instant si souvent.
Putain d’ironie !
Le jour où elle arrivait à se rapprocher de lui était le jour où elle avait failli être violée par un malade qui lui avait mordue la poitrine jusqu’au sang. Le jour où elle se trouvait aussi faible qu’un nouveau-né, impuissante et incapable de se défendre, elle qui n’avait eu de cesse de prouver à tous les hommes qui l’entouraient qu’elle était leur égale.
Et après cela, Jake ne la verrait jamais plus autrement comme la pauvre femme qu’il avait dû sauver des griffes du grand méchant loup. Une victime comme les autres.
Son sentiment de frustration et de honte s’accrut quand elle comprit que Jake avait repoussé le vêtement qui la couvrait. Même si seule une petite partie de son corps était découverte, elle ne s’était jamais sentie aussi nue.
Le fait que Jake pose les yeux sur sa blessure raviva la douleur qu’elle avait presque oubliée. Et avec cette souffrance revint le souvenir du poids du corps de Sorokine sur elle. Son odeur de sueur. Ses mains moites et froides. Sa bouche sur sa peau… La nausée remonta dans sa gorge serrée et une sensation d’étouffement serra sa poitrine, nourrit sans relâche son angoisse inextinguible.
Ses larmes coulèrent abondamment dans le cou de Jake, augmentant son sentiment de détresse et de désarroi.
Mais s’il s’en aperçut, il ne fit aucune remarque, comme s’il avait deviné que le moindre début de compassion aurait donné à Mia l’impression qu’il la prenait en pitié.
— Il faudra que je désinfecte ça au QG. Est-ce que tu as vu d’autres blessures ?
Le ton était toujours le même. Distant. Détaché.
Mais pourtant, personne ne fût dupe de cette question qui en soulevait une autre.
— Non, répondit Ryan. Je n’ai rien vu d’autre. On est arrivé juste à temps. Tu es sûr qu’il ne faut pas l’amener à l’hôpital ?
Jake saisit le poignet de Mia et prit son pouls avant de répondre.
— Ça devrait aller. Je ne sais pas en combien de temps les effets de la drogue vont disparaître. Je la surveillerai cette nuit.
Le souffle chaud de Jake caressa l’épiderme sensible de son visage avant de descendre sur sa gorge et ses épaules, comme s’il cherchait d’autres lésions invisibles.
— Quelle merde, soupira Ryan. Comment on a pu laisser ce type aller si loin…
— Ce n’est pas le moment de discuter de ça, l’interrompit Jake. Rien d’irréparable n’a été commis.
Ce furent les dernières paroles qu’entendit Mia avant de lâcher prise. Ces mots tourbillonnèrent en elle tandis qu’elle sombrait dans un état de semi-conscience.
Rien d’irréparable avait-il dit…
À cet instant, elle n’en était pas si sûre.
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L' Organisation - Traquée (Contrat d'édition HACHETTE BMR)
Mystery / ThrillerElle fera tout pour le séduire, quitte à se brûler les ailes... car dans le monde de l'espionnage, les apparences sont toujours trompeuses. Mia, agent de l'Organisation, est chargée de surveiller Boris Voronov, un influent chef mafieux. Mais à deu...