Chapitre 2

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Il avait fallu tout expliquer, répondre aux questions de sa mère, des grands-parents, des amis. Ce départ elle en avait besoin, c'était une évidence. Elle avait toujours demandé à son père qu'il puisse l'amener là-bas, mais les tournées, le travail, l'école...Il y avait toujours eu un obstacle.

Le jour était enfin arrivé, Keyrah n'en pouvait plus, le chauffage de la voiture de sa mère l'étouffait. Il lui fallait de l'air, et pas n'importe lequel : celui du Jazz. Les écouteurs ne suffisaient plus, il lui fallait la musique ici, maintenant. Elle voulait la sentir, la respirer. Elle enfonça ses ongles dans le siège pour se calmer en voyant l'embouteillage qui ralentissait l'arrivée au parking de Roissy Charles de Gaule.

Quand elle entra enfin dans l'aéroport elle se retint de courir, prenant le temps d'entendre claquer ses talons sur le sol. Sa mère la suivait, accélérant de temps à autre pour revenir à la hauteur de sa fille qu'elle voyait filer devant elle, se faufilant entre les bagages, les caddy, les voyageurs exténués et les chauffeurs de taxis brandissant des pancartes avec toutes sortes de nom de famille pour accueillir les étrangers venu à Paris en touristes.

Emma savait très bien ce que signifiait ce voyage pour Keyrah. Elle savait qu'elle en avait besoin, elle se demandait quand est-ce qu'elle allait franchir le pas, cependant elle fut quand même surprise lorsqu'hier, en rentrant de l'école de chant sa fille lui avait annoncé son départ. Qui allait assurer les cours que Keyrah dispensait à l'école ? Qui s'occuperait des cours de violon et de piano ? Keyrah avait déjà tout prévu, elle avait appelé deux amis pour la remplacer, Samayah et Maxence. Le problème réglé elle ne voyait pas ce qui aurait pu l'empêché de la laissé y aller. Keyrah pointa du doigt la queue du guichet d'enregistrement pour son vol à sa mère, « c'est là ! », et alla à la fin de la queue, impatiente. Emma alla s'asseoir en attendant.

Keyrah ne cessait de bouger, s'appuyant sur un pied puis sur l'autre. Comptant et recomptant le nombre de personne devant elle, faisant des pronostics, calculant combien de temps encore cela allait prendre. Sa mère l'observait de loin, elle voyait bien que sa fille n'en pouvait plus. Cela la fit sourire, vingt ans auparavant, c'était elle qui était impatiente de partir. Impatiente de faire ce voyage, d'échapper quelques jours à la vigilance de ses parents. Un voyage vers l'inconnu avec son groupe de chant. Elle avait vingt ans et elle partait pour une compétition de chant avec sa chorale. Quinze jeunes filles issues de la bourgeoisie qui allait enfin pouvoir se lâcher dans un pays étranger, là où personne ne les connaîtraient et ne pourraient les juger et leur rappeler les manières et les conduites de jeunes filles de bonne famille. Emma, en réalité, avait toujours été un peu rebelle. Elle était la première à désobéir. Elle était jeune, et elle ne voulait surtout pas se priver de cette jeunesse.

Keyrah revint enfin vers sa mère, un sourire aux lèvres. Elles allèrent s'asseoir dans un café, en attendant l'heure d'embarquement.

-Tu as hâte, pas vrai ? demanda Emma. C'est bien de ton âge de partir comme ça, du jour en lendemain ! Profites-en. Qu'est-ce que tu vas y faire, hein ? A la Nouvelle-Orléans ?

-Je veux voir maman, voir comme papa a vu. Je veux toucher, sentir, respirer, je veux vivre. Vivre comme lui, avec lui, juste un week-end. C'est tout ce que j'ai trouvé pour me rapprocher un peu de lui. La musique c'est tout ce que j'ai maman.

Emma caressa la joue de sa fille tendrement, une larme perla au coin de son œil droit ; « Les passagers du vol TX4309 en destination de la Nouvelle-Orléans sont priés d'embarquer porte C s'il vous plait. ».

Keyrah se leva d'un bond, contourna la petite table du café, serra sa mère dans ses bras et couru.



Sur un air de JazzOù les histoires vivent. Découvrez maintenant