Introduction: Le rêveur lucide

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La nuit était claire et douce. La brume glissait avec grâce sur l'eau, comme si elle voulait se faire discrète. Une petite barque fendait les eaux en deux, avançant cependant faiblement. Le calme régnait, mais dans ce silence brumeux se cachaient bien des choses...
Soudain, les brumes s'écartèrent. La bande blanche du sable était à présent visible, presque frappante. Le propriétaire de la barque accosta sur la plage. Il sauta sur le sable, pieds nus. C'était un garçon au teint pâle, qui fixait le lointain des yeux. Il appela:
-Harmony!
Son cri perdit de son intensité une fois poussé, comme si les brumes l'étouffaient.
-Harmony! Harmony! C'est moi, ton ami!
Une fois de plus, ces cris se perdirent dans l'air.
-Ce monde n'est pas comme le mien...dit-il. Dans mon monde, tout est bercé de logique, clair, net.
A peine ses mots dits, le sol tangua sous ses pieds. Le paysage se déforma autour de lui, se fit encore plus flou. Il eut l'impression que quelque chose se brisait, et il vit une porte apparaître. Il courut, souhaitant l'atteindre...
***
Jalis se réveilla en sursaut, le coeur battant la chamade. La sueur perlait à son front, en de gouttes bien visibles. Un rêve comme celui-là, il n'en avait jamais fait auparavant. Pourtant, il en faisait des tas, de rêves étranges. Depuis tout petit, il faisait des rêves "lucides" où il est conscient de rêver et où il peut changer le cours du rêve à sa guise, consciemment.
Ce rêve-là, il ne s'en souvenait que vaguement. Il se souvenait de la brume, de la barque, de la nuit dans laquelle il avait été plongé, puis tout qui se déformait autour de lui... un moment, il avait crié quelque chose, mais quoi? Son inconscient ne lui avait pas fait savoir clairement.
Il se leva du lit avec l'impression que sa tête pesait des tonnes, et le coeur lourd à l'idée d'aller à l'école, il commença à choisir ses habits de façon mollassonne, presque ennuyée.
Quelque chose lui dit que cette journée allait être différente. Il le pressentait.
L'énergie retrouvée, il s'habilla avec plus d'entrain et ordonna rapidement ses cheveux bruns bouclés. Il jeta un coup d'oeil au-dehors.
Il...neigeait. Pas de cette grêle froide et piquante, mais de ces flocons doux comme du coton, qui tombaient doucement sur le sol givré.
Les yeux de Jalis brillèrent d'intérêt. Il aimait tellement la neige, et c'est pourquoi il resta quelques minutes à contempler ce beau spectacle. La voix de sa mère retentit alors, le sortant de sa rêverie:
-Jalis! Tu vas être en retard!
-Oui! Fit-il, quelque peu agacé de son brusque retour à la réalité. Il descendit en vitesse, manquant de glisser sur l'escalier en bois.
Il dejeuna rapidement, de cette vitesse incroyable dont lui seul connaissait le secret (à vrai dire, il suffit d'enfourcher le tout dans sa bouche sans s'occuper le goût des aliments) et il mit ses chaussures. Il s'arrêta soudainement en remarquant son reflet dans le miroir se trouvant à l'entrée. Des bouclettes brunes, des yeux foncés, il faisait bien son âge; dix ans.
Il tourna brusquement la tête et lança un retentissant "à plus!" à l'adresse de ses parents et partit, son coeur tambourinant de façon étonnante contre sa poitrine, vers le chemin de l'école.
Ce n'était pas bien loin; il suffisait de traverser la route, passer à travers de petites ruelles et c'était bon.
Jalis regarda tomber la neige avec une joie pure et simple; une joie d'enfant. Il grelottait légèrement, ses rêveries lui ayant fait oublier ses gants et son écharpe. Il marcha un peu et vit apparaître son école, avec ses petits et anciens bâtiments à la couleur jaune ternie, sa sonnerie tonitruante qui retentissait souvent, ses élèves jouant dans sa grande cour parsemée d'arbres et de bancs... Tout cela lui était très familier, il la connaissait par coeur, il aurait su s'y retrouver les yeux fermés... Et dire qu'il y avait passé cinq ans de sa vie, ou presque... C'était étrange, tout de même.
"Le temps passe vite, se dit-il. -Je me revois encore tout petit, lorsque jusque j'y suis allé la première fois; tout m'avait paru si froid et inhabituel, comme un autre monde. Mais finalement, le temps a fini par m'habituer à cet endroit."
Il entendit soudain les cris des enfants de son âge qui s'amusaient à se lancer des boules de neige. Jalis poussa un soupir; il aurait bien voulu les rejoindre et s'amuser comme eux, mais son sens de logique le freina, car il savait que ces personnes-là ne l'appréciaient pas trop; alors il n'allait pas faire semblant, quand même! Il resta donc dans son coin, à observer la neige. Elle au moins de l'embêterait pas. Il ferma les yeux. Il s'imagina du blanc partout, absolument partout, du blanc pur comme la neige. Il était perdu dans cette immensité blanche et regardait autour de lui. Il vit quelque chose au loin, une sorte de forme brumeuse, confuse.
Un ami... j'aimerais tellement avoir un ami à qui me confier, un ami qui me comprendrait. Un ami qui verrait mes rêves...

Il rouvrit brusquement les yeux. Combien de temps s'était-il écoulé depuis ce songe? Les enfants jouaient toujours dans la cour. Il n'y avait personne à côté de lui. Il avait encore rêvassé brièvement, comme d'habitude.
La sonnerie retentit et c'est tout tremblant, le coeur serré, qu'il alla se ranger avec les autres.
Il aurait tellement voulu encore un peu rêver, voyager dans les méandres de son imagination où se bousculaient toutes ses pensées. Il aimait tellement rêver, que ce soit juste en imaginant quelque chose ou en s'endormant la nuit; il se dit d'avoir la chance d'être un rêveur lucide, c'était même quelque chose dont il était fier, comme si cela avait beaucoup d'importance. Pour lui, se promener librement dans les royaumes du sommeil, c'était plaisant...

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 24, 2016 ⏰

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