TROIS FRERES

CHAPITRE 3

- Heureusement qu'on peut sortir un peu du labo de temps en temps, soufflais-je.
- Tu parles, siffla Stuart, tout ça pour aller en cours. On est juste transféré dans une autre prison, c'est pas une liberté ça.
- Moi je trouve que vous êtes ingrats, souligna Kaleb en regardant droit devant lui. Le Labo fait tout pour que nous restions en vie et vous vous trouvez encore le moyen de vous plaindre.

Mon regard croisa celui de Stuart qui semblait excédé par le comportement de son frère. D'un côté Kaleb avait tendance à m'agacer aussi quand il commençait ce genre de discours. Je haussais les épaules et posais mon sac en bandoulière sur une épaule avant de commencer à avancer vers l'entrée principale du bahut.
Une fois à l'intérieur je savourai de ressentir toutes ces présences autour de moi. C'était ma petite joie du matin, et je ne l'échangerais contre rien au monde. Stuart et Kaleb firent de même et nous nous arrêtâmes dans le hall pour regarder toutes ces personnes -libres d'ailleurs, enfin sûrement plus que nous - marcher dans tous les sens, s'esclaffer, sauter sur les autres, hurler, faire des crasses... Avoir une vie normale quoi !

- Vous m'expliquez pourquoi nous n'avons pas le droit de sympathiser avec les autres ? Demanda Kaleb les yeux rivés sur une rousse toute longiligne.
- T'auras qu'à demander à ton cher Labo en rentrant ce soir, ironisa Stuart.

Je lui donnais un petit coup sur l'épaule pour lui intimer de se taire, mais il haussa les épaules pour toute réponse. Je savais que même si j'étais le dominant, chacun d'eux ne m'étaient pas asservi. Ils avaient leur façon de penser, et leur comportement que je ne pouvais pas contrôler. Et ça, c'était notre plus grande force parce que le Labo ne l'avait pas encore compris. Je remis droite la cravate rouge de mon uniforme quand la première sonnerie de l'après-midi retentie. Nous nous dirigeâmes vers notre salle.

L'amphithéâtre était immense, à tel point que le prof tout en bas devait se servir d'un micro pour que tout le monde entende. J'étais assis vers le centre, entre mes deux frères comme nous le faisions tout le temps.

- Je peux m'asseoir ici ? Demanda une jeune fille rousse à Kaleb en montrant le siège à côté de lui.
- Oui oui si tu veux, ça changera du vieux geek que j'ai d'habitude, répondit-il en souriant.

La jeune femme rigola et lui tendit la main pour le saluer. Il lui prit avec grand plaisir. Je levais les yeux au ciel, tellement il était évident que mon frère était en pleine drague. Stuart croisa ses bras sur sa table et posa sa tête dedans, comme à chaque cours. Il avait décidé de dormir à chaque cours et de s'en vanter le soir pendant les test. Ca lui permettait de faire comprendre aux scientifiques qu'il ne leur appartiendrait jamais vraiment. Je saluais cet acte même si moi je ne le ferais pas. J'étais plutôt occupé à rêvasser.

- Je m'appelle Rachel, dit la rousse en souriant.
- Kaleb, ajouta mon frère avant de nous montrer du doigt. Et puis ce sont mes frères. Le grand costaud c'est Gabriel et le minimoy blond au fond c'est Stuart.

Pour toute réponse, Stuart lui fit un doigt d'honneur sans se donner la peine de relever la tête. Kaleb pouffa et voulu reprendre la parole quand le prof entama un énième cours d'arithmétique où je ne comprendrais encore rien.

*

- Stuart Barnes ! Vociféra le prof de sa petite estrade.

Mon frère se releva doucement, comme s'il avait été tiré d'un rêve parfait. Il fit coucou au prof en bas avec un grand sourire. Je ne pus réprimer un sourire en voyant sa façon de se conduire. C'était vraiment la bête noire des professeurs.

- Quelle est le résultat ? Si vous ne répondez pas correctement je vous envoie directement chez le directeur !

Il se leva de sa place et descendit les escaliers avant de prendre la craie que le prof avait dans les mains et de fixer le tableau en réfléchissant.
Après quelques instants de réflexion il nota un résultat et le prof resta bouche-bée alors que Stuart retournait s'asseoir à coté de moi.

- C'était le programme des dernières années... Souffla le prof en s'asseyant sur la chaise la plus proche.
- Comment t'as fait ?! Chuchotais-je à son intention.
- Je ne sais pas, question de logique...

La logique... Pour moi la logique des mathématiques s'était arrêtée le jour où ils avaient commencé à rajouter des lettres...

*

Kaleb avait disparu après le cours avec la fameuse rousse sans se poser la question si ça nous dérangeait. Je levais les yeux au ciel en le voyant s'éloigner le long du couloir. Stuart rigola et nous nous mîmes à marcher dans le sens inverse.

- Tu ne sens pas une présence depuis ce matin ? Lança Stuart en redressant le nez comme un animal.
- Ne fais pas ça crétin ! Dis-je en lui donnant une tape derrière la tête. Pas en public tu sais très bien que l'on doit être des individus lambdas. Alors arrêtes.
- Mais tu sens quand même ?
- Oui je sens Stuart. La même odeur qui nous suit depuis ce matin, mais je n'arrive pas à savoir qui s'est, il y a trop de monde ici.
- Et si c'était un chasseur ? Demanda-t-il avec une voix trahissant son inquiétude.
- On serait déjà mort si c'était le cas. Faut que j'aille en étude, tu sais quoi faire si tu te sens menacer ?
- Oui oui Gaby, j'applique le code de détresse.

Je fis un mouvement vertical de la tête pour lui signaler que c'était bien ça et je disparu vers la bibliothèque universitaire.

Je cherchais depuis un bon moment, un livre qui serait susceptible de me plaire pour me divertir. Mais je sentais toujours cette odeur -pas désagréable en soit mais gênante- jamais très loin de moi. Je regardais furtivement autour de moi et me mis à douter sur la personne d'où elle provenait. Un jeune homme de mon âge était assis devant un ordinateur, je savais qu'il était avec nous en maths et il était possible qu'il nous suive depuis. Un groupe de filles de dernière année pouffait plus loin, et elles étaient avec nous dans le couloir tout à l'heure... Tout le monde me semblait suspect, chose que je n'appréciais pas du tout.

- Coucou Gabriel !

Je me retournais vivement en position de garde comme en combat rapproché. Mon coeur commença à s'accélérer et je sentis mes os me démanger comme s'ils voulaient que je me transforme. Simple instinct de survie.

- Sarah ? Lançais-je dubitatif. Qu'est-ce que tu fais là ?
- Je suis en cours, on a le même âge alors faut bien que j'étudie. Je t'ai fait peur ?
- Oh non pas du tout voyons !
- Bien sûr...
- J'aurais eu peur de toi si j'étais une mauviette ! Tu sais très bien que je n'ai peur de rien.
- Je le croyais... Avant que je ne te fasse peur ! Dit-elle en me tirant la langue.

Elle me tendit un livre de Science-fiction et je le pris à pleine main. Après avoir lu le résumé, je la regardais en me demandant comment elle avait fait pour savoir ce que je cherchais et comment elle avait su que cette histoire en particulier me plairait. Pour toute réponse, Sarah haussa les épaules, comme si c'était quelque chose de naturel.
Finalement, on s'installa à une table tous les deux et on passa l'heure suivante à parler. Elle était incroyablement intéressante. Elle souriait tout le temps, même quand il ne fallait pas. Et ses yeux... C'était comme si elle n'avait pas besoin de parler, comme si tous ses sentiments pouvaient se ressentir rien qu'en croisant son regard.

- Kaleb fricotte déjà avec l'ennemi, signala Stuart en nous rejoignant, il faut en plus que tu t'y mettre aussi. (puis il se tourna vers Sarah) On se connait non ?
- Je travaille au Labo.
- Sérieux ?! Et toi tu lui parles ? Tu passes du côté obscur bro' !
- Qu'est-ce qui te dit que c'est plus obscur que le coté où on est.
- T'as vraiment un problème la... T'as même pas souligné mon allusion à un film légendaire !
- J'ai pas fait attention, soufflais-je de façon désespérante. Il faut qu'on rentre, c'est le couvre-feu. Où est Kaleb ?
- Si je te dis : Grande, rousse, assez mignonne il faut l'avouer, coin sombre, tout seuls, tu vois ?

Je levais les yeux au ciel en me levant. Il fallait que je retrouve mon autre frère à mon plus grand désespoir. Je fis un petit signe à Sarah pour lui dire au revoir et elle me sourit.
Après avoir signé le registre d'emprunt de livres, nous disparûmes dans la masse qui se pressait de tous les côtés, en espérant retrouver Kaleb sans être trop en retard.