1. Contraste

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Il se faisait tard à présent, ses pas résonnaient dans la petite rue qu'il traversait sans hâte et la pluie ruisselait sur son visage qu'il essuyait en continu. Il ne pestait pas, ô que non, il avait l'habitude de ces longues soirées à errer jusqu'à en perdre la notion du temps. Il s'arrêta d'un coup devant une large porte familière derrière laquelle l'halo d'une lumière projetait sa lumière jaune sur la rue, et toqua en remettant machinalement sa longue chevelure bouclée et humide derrière ses épaules. La porte s'ouvrit aussitôt sur un monsieur ayant au moins la cinquantaine et le jeune homme lut aussitôt sur son visage que ce foyer était aussi complet.
- Si vous voulez... commença le vieil homme, attristé par ce garçon cherchant désespérément un abris, un peu comme tous les pauvres sdf qu'il devait recaler chaque soir.

Mais le bouclé le remercia d'un signe de tête compatissant et reprit sa route sans frustration particulière. Il avait aussi l'habitude de chercher des heures durant un toit pour la nuit, grelottant, parfois plongé dans l'obscurité la plus totale. Occasionnellement, il dormait dehors dans son sac de couchage quand il avait malheureusement fait le tour de toutes ses possibilités... Mais dormir dehors n'était pas très rassurant et il connaissait un grand nombre d'histoires qui étaient arrivées aux pauvres gens qui n'avaient pas réussi à dormir en intérieur. Il se souvenait de ses premières nuits, il avait sans arrêt la boule au ventre et ne connaissait quasiment aucune adresse ; il avait peur, de l'obscurité, de la solitude et de toutes les horreurs que cachait la nuit noire et froide. Il re-boulocha le papier sur lequel il avait écrit toutes les adresses pouvant le loger dans Londres et le fourra au fond de sa poche, remplie de son petit bazar. Il commençait à avoir vraiment mal aux jambes, il les sentait plus lourdes ; et ses doigts... Ses doigts ne répondaient même plus, et un violent frisson le traversait de plus en plus fréquemment. Il se dirigeait maintenant vers une station de métro, d'abord pour se réchauffer, puis pour rejoindre le coin du vieux Wilfried où il saurait trouver un peu de sécurité et de visages familiers. Londres était plongée dans le silence, il n'entendait parfois que de vagues bruits de musiques étouffées et quelques rires insouciants. Des fois il y repensait. Oui, il se disait qu'il aurait pu se reprendre en main, se ressaisir et arrêter de gaspiller tout ce temps à traîner et à rester dans cette torpeur qui l'habitait depuis les premiers jours où il fut livré à lui-même. C'était si facile à dire... Il se le répétait mais jamais il n'avait la force de changer ; il s'était comme habitué à cette vie minable. Il s'était même accommodé à voir la vie en arrière plan, à traîner dans les rues toute la journée et regarder les choses autrement. Il ne marchait plus comme les autres, non, ils savaient tous où ils allaient, avec leurs allures pressées et leurs mines décidées ; mais lui, il vagabondait, observait et détaillait avec amusement toute cette vie qu'il trouvait fascinante, mais dont il ne s'incluait pas dedans.

Il rentra enfin dans la station, quasiment déserte, et poussa un soupir de soulagement quand l'air chaud du soubassement lui caressa agréablement son être meurtri de froid. Ses orteils et ses doigts lui piquaient mais au moins son visage était soulagé de ne plus être tiraillé entre la pluie et l'eau qui le fouettaient depuis des heures. Au loin, il entendait l'habituel bruit du métro qui s'élançait à toute allure, presque vide à cette heure-ci. Il n'avait même plus besoins de sauter au-dessus des barrières car celles-ci n'existaient plus, il fallait juste présenter son ticket à des sortes de scanner sur les côtés. Il descendit les escaliers et arriva sur le quai, un peu sonné par la fatigue. Il n'y avait personne à priori. La circulation du sang dans ses doigts se remit soudainement en marche et lui tira une grimace de par sa violence. Il se balançait d'un pied à l'autre en attendant, contemplant tristement ses vieilles baskets usées, presque trouées au bout. Son manteau n'était plus qu'une sorte de chiffon géant, et son jean trop grand était imbibé d'eau aux chevilles à force de traîner dans l'eau. Ses cheveux étaient aussi tout emmêlés et sa peau camouflée par au moins trois couches de saleté... Son apparence avait toujours été une des seules choses qui le préoccupait vraiment, même si à l'heure actuelle il ne pouvait plus la soigner comme avant. Déjà tout petit, il avait déclaré fermement à sa mère qu'il souhaitait s'habiller seul. Sa mère... Il pensait souvent à elle, tout comme son père. Il ne les regrettait pas vraiment, ni ne les détestait ; il les évoquait simplement comme si il avait parlé de ses nombreuses connaissances. Il n'était pas du genre affectif, plutôt dur de cœur même et assez intolérant envers les gens qu'il côtoyait. Il avait pourtant eu une sacré bande d'amis, et surtout une grosse popularité auprès des filles. Elles évoquaient toujours avec une passion qui le gênait ses grands yeux verts et ses cheveux bouclés, désirant à tout pris ne serait-ce que son regard. Mais lui ne s'intéressait pas du tout à elles, au contraire, il les reniait et les considérait avec un dégoût qui grandissait constamment. Il s'en rappelait bien, de ce grand garçon blond dont il rêvait secrètement de côtoyer, il s'en rappelait très bien car c'était là qu'il découvrit son homosexualité pour la première fois, même si il ne comprit pas tout de suite ce que cela signifiait. Il ne l'avait pas refoulé, il l'avait accepté car c'était pour lui normal d'être ainsi. Il n'allait tout de même pas se forcer à aimer des filles... Le métro qui arriva le tira brutalement de ses souvenirs et il monta à l'intérieur quand celui-ci ouvrit ses portes. Il s'ébranla un peu pour éviter de commencer à somnoler. La voix annonça la station suivante mais il lui semblait aussi en entendre d'autres qui s'émanaient des escaliers. Il finit par entendre des :

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⏰ Dernière mise à jour : Jul 17, 2017 ⏰

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