1) Fugitive

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  C'était décidé : il fallait que je parte. Mon père ne m'en empêcherait pas, cette fois.

Il était tard dans la nuit, le silence régnait presque de la même façon qu'il régnait le jour. J'en profitai pour quitter mon lit improvisé en tentant de ne pas réveiller ma mère, ce qui ne me donna pas beaucoup de fil à retordre. L'endroit où nous vivons ne jouit d'aucune luminosité : nous nous sommes réfugiés dans un bunker derrière la cave de notre appartement, avec ma mère, mon père et mon frère. Lorsque les rebelles sont passés, car ils ont beaucoup avancé depuis, ils ont bien sûr fait le tour pour piller les ressources et tuer ou capturer tous les habitants qui se trouvaient sur leur chemin. Mais ils ne sont pas venus nous trouver ici, dans ce coin bien dissimulé et à l'entrée secrète. Cela fait à présent deux semaines que j'y vis.

Je regardai l'heure sur le réveil interactif : 02:34. C'était le moment idéal pour quitter le bunker sans risque. Je passai entre les couchettes au sol, me faufilai entre les étagères formant un mur d'intimité minime et me glissai enfin vers le lavabo au dessus duquel est fixé un petit miroir suffisamment grand pour y voir tout mon buste. Avec le peu de lumière que produisaient les quelques objets électroniques clignotant ou indiquant l'heure, je vérifiai mon apparence: je portai un haut débraillé, troué sur l'épaule et un gilet fin qui couvre mes bras. Assez chaud pour maintenir ma température correcte. Mon pantalon est trop grand mais confortable, j'y ajoute mon manteau, une longue écharpe noire et un bonnet abîmé et pris mon sac que j'avais préparé la veille. Il contient un canif, des allumettes et un briquet, des gants chauds, des vêtements de rechange, des lunettes de soleil et un sac de provision pour quelques jours. Je le passe en bandoulière sur mon épaule et débute mon ascension silencieuse des escaliers. Il y fait beaucoup plus noir et je n'entends plus un bruit. Je n'en ai que peu à monter avant la porte blindé du bunker, camouflée dans le mur de la cave de l'autre côté. En montant les marches une à une, je repense à ce que je m'apprête à faire: me rendre sur la place qui orne la résidence présidentielle. Comment m'y prendre ? Ne serait-ce pas de la folie ?
Et pourtant, j'ai bien l'intention d'y aller. C'est la seule chose qu'il me reste à faire. Pour savoir ce qui attend Panem.
Lorsque j'atteins la porte, je me prépare à l'étape la plus difficile de ma fugue : l'ouverture du système de verrouillage. Il faut du temps et de la poigne pour tourner la serrure qui s'enclenche avec un levier en métal, ce qui rend la tâche de garder le silence difficile. Je me lance alors lentement, très lentement. Le moindre frottement de mes vêtements me fait tourner la tête pour vérifier que personne ne m'a entendue. J'empoigne le levier rouillé d'une main ferme et le tire vers moi, collé à la porte. Un léger crissement se fait entendre, trop léger pour parvenir aux oreilles des autres. Je suis le mouvement du loquet le plus doucement et le plus lentement possible, sans m'arrêter malgré le bruit. Comme celui du frottement d'une craie contre un tableau noir. Je m'attendais à pire. Le jour, cette porte est infernale, bien qu'on ne l'ouvre jamais. Elle bruisse au premier coup de vent. Lorsqu'elle s'ouvre enfin, je la remercie intérieurement d'avoir gardé le silence. Elle vibre un peu. Je me faufile délicatement, sans bruit. Et la pousse légèrement derrière moi. Je retrouve un couloir insalubre et humide baigné par la lumière de la lune. Je ne l'avais pas vu depuis longtemps, et j'éprouve un certain soulagement lorsque j'aperçois une fenêtre au fond du corridor. J'hésite un instant à me rendre à mon appartement, mais cela n'a à l'évidence aucun intérêt puisqu'il n'y reste plus rien d'utile. Et ce serait une chance de plus de me faire repérer. Je descend alors vivement les sept étages à pieds, toujours silencieusement. Effectivement, chaque appartement ici est doté d'une cave indépendante. Il y faut froid et humide, les conditions requises pour une cave y sont parfaitement reproduites par les murs isolants. Je me retrouve dehors. C'est une si ancienne impression qu'elle m'en paraît presque étrangère : la brise légère contre ma peau qui soulève une mèche de cheveux, le bruissement des feuilles d'arbres le long des rues, la lumière de la lune se reflétant sur tous les bâtiments en verre... Je reste là un instant, le temps de savourer ce retour à la "normale". D'habitude, il y avait toujours du monde dans la rue. Le Capitole grouillait de monde et les rues actives en permanence. Cette vie m'exaspérait parfois, lorsque je voyais des gens n'avoir aucun respect pour leur corps, n'ayant aucun rythme de vie.
Une fois la rue traversée -prudemment car, j'ai beau savoir reconnaître les pièges, il peut toujours en rester un dissimulé sous une dalle ici ou là-, je prends la direction du grand cirque. C'est une sacrée trotte à pieds, de chez moi. Elle me prends presque une heure, voire plus, vu le rythme lent que m'impose la prudence. Dans la rue, il n'y a pas un chat. L'ambiance en devient presque macabre, comme si j'étais la seule chose vivante aux alentours. Le froid commence à se faire ressentir : mes doigts se figent et mes jambes grelottent. Je décide de trouver un endroit pour dormir. Un banc ? Trop à découvert. On ne sait jamais, un rebelle ou qui que ce soit d'autre peut se retrouver ici par hasard. Non, j'opte pour un arbre imposant et feuillu, un grand pin, entre deux buildings, assez écarté de la rue. Je tente de grimper difficilement. Mais mon ascension est facilitée par les branches basses. Néanmoins, je ne monte pas trop haut, car j'ai peur de tomber.
Je me choisis une branche assez plate et rigide et m'y installe. La tête sur le tronc, un pull sur les jambes et le sac pendu à une petite branche à mes pieds. Je compte les feuilles au dessus de mes yeux et un sommeil profond et angoissé finit par me gagner.

Huntress - Hunger Games [EN REECRITURE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant