Jasper

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« _ Pour la première fois depuis presque un siècle, j'ai espéré. »

Le monde que je contemplais depuis le fleuve Delaware n'avait plus rien à voir avec ce que j'avais connu. Avant ma transformation, je ne rêvais que d'exploits militaires et de grandes batailles menées avec fougue et courage. Malheureusement, je ne connaissais pas encore la finalité que prendraient ses luttes après que mon sort soit bouleversé à tout jamais. Soit le contrôle pour garder dans nos mains des zones d'approvisionnement en humain pour nous alimenter. Moi qui désirais me battre pour l'honneur et le bien-être de l'espèce humaine, j'avais viré de cap en tout juste une nuit en devenant leur meurtrier, une singulière ironie qui vous laisse un goût amer. La reconnaissance avait été au rendez-vous, ainsi que les promotions, mais à quel prix ? Le prix d'une conscience qui, après plusieurs années de silence, vous interpelle soudain et vous ronge de l'intérieur. Encore plus douloureuse que n'importe quelle morsure de venin, pire qu'un cauchemar.

Alors, j'avais pris la fuite, incapable de tuer mon bourreau, j'avais suivi Peter et Charlotte à travers les États-Unis, avant de les abandonner également, n'endurant plus aucun contact avec ceux de mon espèce. Mon comportement était sans doute arrogant, ne parvenant pas à faire mieux qu'eux, mais inconsciemment je cherchais autre chose, une solution qui mettrait un terme à mon calvaire qui durait depuis trop longtemps.

J'avais fuit comme un déserteur, aux yeux de certains comme un lâche, courant vers un autre destin, mais lequel ? Ce n'était pas tellement la guerre que je refoulais comme un acte honteux, je voulais échapper à ma condition, celle d'un criminel, d'un tueur sans vergogne, prêt à tuer hommes et femmes pour assouvir ma soif. Tel était le châtiment, le revers de la médaille pour vivre éternellement. Un gage, qui après plusieurs décennies, devenait trop lourd à porter. Alors que faire d'autre ? Devant une telle évidence, plus rien ne sert de s'échapper, juste l'acceptation. Oui, j'étais un monstre avide de sang, de traque, mais l'important n'était-il pas de vouloir changer ?

Mes pas m'avaient conduis hors de la forêt protectrice, à l'écart de mes congénères, pour trouver une solution qui me permettrait de vivre en osmose avec ce que j'étais devenu. Toutefois, bien que ma volonté de changer était inébranlable, l'action n'en restait pas moins délicate et perturbante. Me rendre comme n'importe humain lambda au cœur de cette ville en plein éveil, n'était pas aisé. Il me faudrait résister à la tentation, ne pas perdre le contrôle de mon corps, de mon envie sur ma raison. Je pensais, peut-être un peu naïvement, que si je parvenais à « cohabiter » avec les hommes, j'apprendrai à vivre avec leur odeur plus facilement. A force de fréquenter, de vivre dans le même effluve je parviendrai à m'en écœurer, ou du moins à devoir me rassasier moins souvent.

En effet, j'avais pris l'habitude de me nourrir excessivement, pour me donner une force incommensurable, et il fallait que je réfrène cette mauvaise habitude, sinon il ne me resterait plus qu'une chose... Mourir. Peut-être était-il inutile que je me démène en vain à chercher une solution pour vivre plus sereinement ? Peut-être tenais-je dans mes mains l'unique issue qu'il me faudrait prendre ? Après tout, je me dégoutais assez pour mettre un terme à cette existence sans valeur, je rendrai service aux hommes, en m'éradiquant de leur vie. Pour n'importe quel meurtrier, la chaise électrique est au bout de la ligne, alors pourquoi mon sort devrait-il en être différent ? Bien que me tuer ne serait pas une mince affaire, à moins de trouver une personne qui serait ravie de prendre le relai... Maria ?

Le vent frais du nord m'apporta dans son souffle un délicat parfum qui vint titiller mon odorat. Gonflant mes narines, je me mis à détailler chaque fragrance bercé par la brise qui s'engouffrait dans mes boucles blondes, je reconnus la senteur florale et sucrée avant celle du sang. Des notes de caramel et de muguet voguaient tout autour de moi, me plongeant dans une frénésie délirante. Puis l'arôme particulier du sang me frappa à son tour, de façon plus violente, plus perçante, s'insinuant en moi, recouvrant ma gorge d'un voile de soie. Comme une bouche qui salive devant une pâtisserie exquise, le venin inonda ma langue, me brûlant au passage. Un instant auparavant, je prenais de bonnes résolutions, et en espace de quelques secondes à peine, le monstre se réveillait, envoyant au diable les précautions.

L'ange dans la tempêteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant