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À l'angle d'un carrefour désert, une maison lugubre se distinguait du reste du paysage. Sans cheminée et plongée dans l'obscurité, elle semblait inhabitée. Pourtant, un carrosse se gara devant, et une lueur finit par éclairer l'une des fenêtres de la bâtisse.

— Aluna ! s'écria une voix.

Plus bas, dans le sous-sol de cette sombre habitation, le corps d'une jeune femme gisait à même le sol. Elle était mince, avait des traits fins et de longues mèches de cheveux emmêlés — des dreadlocks — qui lui arrivaient dans le dos. Le peu de lumière qui filtrait par le soupirail ne dévoilait qu'une forme recroquevillée au coin de la pièce, sa peau couleur ébène se fondant presque dans le décor.

— Aluna ! hurla de nouveau la voix.

La jeune femme fronça les sourcils en entendant depuis son château l'appel de son maître. Cette voix perturba l'image du bel inconnu l'embrassant et la ramena brutalement à la réalité. Elle se réveilla en sursaut et se redressa, aux aguets. Autour d'elle ne se dressaient plus de hauts murs tapissés de rouge et d'or, mais seulement une pièce sans vie. L'homme à la peau mate et vêtu de noir avait lui aussi disparu pour laisser place à sa propre silhouette dans le miroir en face d'elle.

Aluna se leva, alluma une lanterne et se dirigea vers sa glace. Elle s'y regarda, en allant de ses jambes fines à sa chevelure rebelle. Elle glissa la main dans ses cheveux, puis s'appliqua à en faire une natte. Elle y avait toujours accordé de l'importance, sa mère lui ayant souvent répété que les maintenir longs et propres pourrait la faire passer pour une femme de la noblesse un jour. Elle lui avait donc longuement enseigné comment les rendre attirants malgré leur volume impressionnant, et Aluna avait été une bonne élève.

Sa natte terminée, elle quitta son reflet et enfila un vêtement qui traînait au sol. Le contact du tissu contre sa cuisse lui arracha un petit cri de douleur. Cette blessure était loin d'être la seule qu'elle portait, et tout son corps chantait à l'unisson la souffrance qu'elle vivait.

— Aluna ! Qu'est-ce que tu fais ? retentit encore la voix. On a de la visite !

La jeune femme trembla de tout son long, comme si son maître avait directement parlé dans son oreille. Elle pressa alors le geste.

— Je suis là dans un instant !

Enfilant une paire de sandales, Aluna se remémora comment elle avait atterri à Arabica, cette petite ville déserte du nord-ouest de Goran, un des quatre états souverains d'Iriah. Les habitants avaient tous fui lors de la dernière guerre avec le pays voisin, Cristallia. Depuis, la trêve avait été signée, mais la paix ne tenait de nouveau qu'à un fil. Le rejet du régime du Régisseur se ressentait de plus en plus, les horreurs conséquentes à la loi interdisant la naissance de jumeaux étant de moins en moins supportables.

Le Régisseur... Cette seule pensée la fit frissonner. Que pouvait-il être ? Un être humain se montrerait-il si cruel envers ses semblables ? Ou s'agissait-il d'un « Dieu » comme certains semblaient le penser ? Il avait été raconté à Aluna qu'il était apparu une soixantaine d'années auparavant, proclamant son hégémonie sur les quatre royaumes, qui, après une courte rébellion, avaient assisté, impuissants, à la démonstration de sa colère. On ne savait comment, il avait réussi à faire s'entre-tuer des milliers d'hommes et de femmes sans lever le petit doigt. Quand bien même la méthode resta inconnue de tous, une chose était sûre : le Régisseur avait prédit le massacre !

Dès lors, la crainte habitait Iriah. Les rois, seuls à pouvoir communiquer avec Lui, avaient instauré deux principales lois en signe de soumission : le paiement de taxes sans précédent et, surtout, l'assassinat des enfants qui naissaient par deux. Tant de sang avait été versé depuis !

Coeur de Flammes, T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant