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Assise à la cantine, seule à ma table habituelle, je me concentrais sur mon plat de frites. J'en faisais distraitement tourner une du bout des doigts dans le tas de sauce mayonnaise lorsque un bruit me fit sortir de ma rêverie. Il s'était assis face à moi. Et par "il", j'entendais, le gars de ce matin, celui du CDI, celui qui voulait me voir participer au club de course à pieds... Je laissais la malheureuse pomme de terre retomber dans mon assiette pour le fixer. 

- Qu'est-ce qui n'était pas clair tout à l'heure, soupirais-je en le voyant se préparer à entamer son entrée. 

Il leva les yeux vers moi, de grands yeux d'une marron mielleux qui me fixait avec intensité. Je soutins son regard avec un air de défi. Il haussa vaguement les épaules en expliquant qu'il était nouveau par ici et que il ne connaissait pas beaucoup de monde... Je levais les yeux au ciel. Je me moquais totalement de ses difficultés d'intégration dans notre lycée ! J'avais assez d'ennui avec mes propres problèmes, pas besoin de me rajouter ceux des autres ! J'avalais une frite alors qu'il découpait consciencieusement son friand au fromage. 

- C'est pas facile d'arriver en terminale dans un lycée de bourgade où tout le monde se connait, me dit-il en déchirant son pain. 

Ah oui ? Et il pensait que c'était plus facile de gérer les commérages dans un lycée de bourgade ? 

- C'est pas forcément un bon plan pour s'intégrer de se diriger vers la personne toute seule le midi, déclarais-je en souhaitant le faire fuir. 

Il me regarda, un sourcil levé. 

- Au contraire, c'est plus facile de parler à une personne seul qu'à un groupe tout entier, rétorqua-t-il avec un petit sourire. 

Je levais de nouveau les yeux au ciel. 

- Désolée pour le retard, s'exclama soudain mon amie en s'asseyant près de moi, j'ai été coincée... 

Elle se stoppa alors qu'elle était sur le point de retirer son écharpe. 

- C'est qui lui ? 

Je soupirais en murmurant qu'il s'agissait d'une gars souhaitant absolument me voir rejoindre le club de course à pied. En plus, il était totalement sourd ! Elle s'installa à côté de moi et commença les présentations. Je me mordis la lèvre inférieure et attendit patiemment. Elle déclina son identité avec un sourire. De toute façon, Elsa faisait tout avec le sourire. Belle, souriante et pleine de vie, c'était tout ma meilleure amie... Et ma seule amie d'ailleurs ! Elle me donna un coup de coude, m'incitant à me présenter aussi. Elle s'excusa d'ailleurs pour mon impolitesse auprès du nouveau. 

- Mais je sais qui elle est, la coupa-t-il. Roxanne Duthile, vice championne régionale de cross. 

Je le regardais surprise. Il me connaissait ? 

- Je t'ai vu courir l'année dernière, expliqua-t-il. Joli résultat. 

Il prit le temps de manger un morceau de son rôti, sans me quitter des yeux. J'en étais restée muette... Il trouvait que je courais bien ? Cela me donnait envie de pleurer. 

- Je ne cours plus, soufflais-je, d'un ton triste et résigné. 

Il m'assura que c'était du gâchis et qu'il ne pouvait  pas laisser passer cela. Elsa était tout sourire à côté et je rêvais de lui lancer mon assiette dans la figure pour effacer ce ridicule étirement de lèvre. 

- Il faut que tu viennes courir, on est 14 au club, expliqua-t-il. Si on n'est pas quinze, il va fermer. 

Fermer ? J'aurais voulu faire quelque chose mais... Je ne pouvais pas ! Et puis, depuis l'incident, j'évitais les grands rassemblements. Je baissais la tête sur mon assiette, sans rien répondre. Je sentais le regard d'Elsa sur moi. 

- Elle ne peut pas courir pour des raisons médicales, finit-elle par dire. Mais elle sera là avec moi. 

Je lui donnais un coup de pied sous la table. Mais pour qui elle se prenait de parler de ma santé avec tout le monde comme ça ? Je lui lançais un regard noir et elle eut un haussement d'épaule désinvolte. Je secouais la tête, exaspérée. 

- Je ne viendrais pas, rectifiais-je pour être sûre que tout soit bien clair. 

Elsa posa sa fourchette, signe que les choses sérieuses commençaient. Mais je n'allais pas céder ! Le nouveau nous fixait, surpris, alors que nous échangions des regards mi-exaspéré, mi-courroucé, mi-rieur. 

- Oh si tu vas venir, grinça-t-elle. Tu vas venir supporter ta meilleure amie, celle qui ne t'abandonne jamais, dans sa désespérée tentative de perdre un peu de poids ! 

Je levais les yeux au ciel avec un petit rire. 

- Tu n'as rien à perdre, Elsa ! Tu as des formes là où il faut ! 

- Ça, c'est ce que dise les filles filiformes comme toi, aux filles rondelettes comme moi ! Alors tu vas venir ! Dois-je te rappeler à quel point je t'ai aidé cette année alors que tu étais au plus mal ? 

Je la fusillais du regard et abdiquais rapidement. Ce couplet, je commençais à le connaître par cœur. Elle me le sortait à chaque fois qu'elle voulait me faire faire quelque chose, et ça marchait très bien. Il fallait avouer que sans elle, aujourd'hui, je n'en serais pas là. Après l'incident, j'avais été blessée, physiquement, moralement, émotionnellement... Perdue, complètement. Et c'est elle qui avait été là à supporter les crises de larmes, de colères... Je lui devais bien ça. 

- Oh merci, t'es la meilleure, s'exclama-t-elle en battant joyeusement des mains. 

Je souris malgré moi. Si ça lui faisait plaisir, c'était déjà ça. Il y en a une des deux qui allait s'amuser, au moins. 





Je n'ai pas sauté ! (EN RÉÉCRITURE)  Where stories live. Discover now