01. Esclave

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-Sale grosse! Dégage de mon chemin! hurla mon père.

Je me recroquevillai, attendant le coup imminent, comme à chaque fois qu'il était dans cet état-là: alcoolisé, esclave de la boisson. Il ne tarda pas à venir: un grand coup de pied dans les côtes, qui me coupa le souffle. 

-Dégage! Dans ta chambre! Tu ne manges pas ce soir! Tu ne manges plus jusqu'à nouvel ordre! Tu es énorme! Tu n'es qu'une obèse! 

Comme un fou, le visage rouge de colère, il me hurlait dessus, me crachant presque au visage. Je fermais les yeux. Essayant de rester calme, passive.  Je voulais oublier. Oublier ce monstre: mon père. Oublier la douleur. Oublier mes larmes. Oublier mon instinct qui me hurlait de me lever et de frapper. De frapper à mon tour. De taper tout et n'importe quoi lui y compris. Mais, je ne pouvais pas. C'était mon père. Je l'aimais. Enfin je crois?! Il était tout. Tout ce qu'il me restait. Ma seule famille, mon seul point fixe, mon repère. Il me frappait. Bien, il me frappait, cela signifiait que je devais le mériter. Je le croyais. Il avait toute ma confiance. L'être le plus cher dans ma vie, sûrement parque le dernier restant. Alors, je laissais faire. Je ne bougeai pas, je l'écoutais m'insulter. Il me balançait mille et une horreurs. Mais, ça allait! J'allais bien! Tout allait bien. Il m'aimait.. J'étais sa fille, sa fille unique. C'est pour cela qu'il faisait tout ça, pour moi, pour m'aider, pour que je sois meilleure.

-Disparais! Tout de suite, je ne veux plus te voir! J'ai honte, honte que tu sois ma fille! 

Je tentai de récupérer mon souffle suite au coup. Je me relevai. 

-Bonne nuit papa! 

Il me gifla.

-Ne m'appelle pas Papa! J'ai trop honte! Tu n'es pas ma fille. Tu as de la chance à ce que je consente ne serait-ce qu'à te voir. Va dans ta chambre! Dégage!

Une main sur mes côtes, l'autre sur ma joue droite, essayant de retenir mes larmes de douleur, je montai l'escalier. Il n'y avait pas tant de marches, mais la montée me parut, horrible, insurmontable!

Ma vue se brouillait à cause de mes larmes, mais je ne voulais pas craquer. Non pas encore. Pas tout de suite. Pas tant qu'il pourrait me voir. 

Je fis une vague accélération, et arrivai dans ma chambre. Avec précaution, je m'allongeai dans mon lit. J'attrapai ma peluche: un ours blanc tout doux, pour lequel j'avais eu un coup de cœur le jour de mes sept ans. Je me promenais, main dans la main, avec ma mère lorsque nous étions passé devant le plus des stands du marché de Noël, couvert de peluches de toutes les tailles, de toutes les formes, et toutes les couleurs. Ma mère avait craqué, et j'avais reçu ce jour-là l'un de mes plus beaux cadeaux. Quand je ferme les yeux, je revois encore son visage, son sourire si doux, ses yeux pétillants. 

Je serrai Calin, comme je l'avais appelé, contre moi, et me recroquevillai. Je me laissai aller, alors je pleurai toutes les larmes de mon corps. 

Comme je pus, je me balançai et répétai:

"Mon père m'aime. Je suis bien comme je suis. Je vais bien. Mon père m'aime.Je suis bien comme je suis. Je vais bien. Mon père m'aime. Je suis bien comme je suis. Je vais bien."

Mais bien que je la refoulai, la vérité, je la connaissais, elle était là, claire et dure en moi: 

"Mon père me déteste. Je suis grosse et seule."

***

"La violence n'est pas le but. La violence est le moyen." - Georges Franju -



Jortini - Je n'existe pas. Oublie moi!Où les histoires vivent. Découvrez maintenant