Chapitre 3

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Chapitre 3


Aujourd'hui  est un nouveau jour. Un jour de  départ. Il est temps. Je rassemble mes affaires. En pliant la tente,  je me rends compte qu'elle ne rentrera pas dans mon sac. Je ne peux  me permettre de voyager en étant encombrée. Mon sac est fait. J'ai  mis quelques armes que je ne sais pas porter sur moi, toutes mes  conserves et mon réchaud. Je finis le pain et boit quelques gorgées  d'eau. Il faut que je l'économise. Et il faut que je me lave. Je  sens ma propre odeur de sueur. Je trouverai bien un  cours d'eau quelque part.

 Avant de me mettre en route, je m'arrête  devant un coffre entre-ouvert. Il l'est depuis le début de mon  séjour ici,  mais je n'avais jamais osé regarder ce qu'il contient.  Je me dirige vers lui et j'ouvre la porte du petit coffre. Vide. Non,je vois quelque chose au fond, ça dépasse du coté. Un faux-fond.  Je l'ouvre et je trouve une lettre. Puis-je la lire ? Ce serait  s'immiscer dans l'intimité d'une personne inconnue. Tant pis, de  toute façon, cette personne n'est certainement plus de ce monde.

« Monsieur,  l'avenir semble tracé. Nous devons partir. Vous et votre famille, vous devez nous suivre. Le monde va s'écrouler, nous avons besoin de  votre science. Monsieur, je vous en prie, venez au point de  ralliement. Rendez-vous à la piscine olympique d'Orlando. Nous avons  besoin de vous. »

Quoi ? De quoi parle-t-il ? Ca date d'un an.  Plusieurs mois avant le Jour. Ils savaient ? C'est qui « ils »  d'abord ? Je prends le papier, le fourre dans ma poche et pars.  Je sors du bureau. Je n'avais pas remarqué le froid. Il fait  toujours nuit. Quelle heure est-il ? Je sors mon thermomètre de  mon sac, il indique 10°C. Le soleil ne va pas tarder. Je vois mes  jambes de sangliers. Je les avais oubliées hier dans mon hystérie.  Elles ont bien séchées. Une chance qu'elles soient presque intacts.  Atelier cuisine matinale, j'enlève la viande séchée des os. Ca  prend moins de place. Je mange presque l'entièreté d'une cuisse  pour me donner un peu de courage. Le reste, je le mets dans mon sac.  Il est presque plein.
Je vérifie mes armes, toujours mes baïonnettes  dans les bottes, ma machette dans le dos, ainsi que mes guns et  munitions à la ceinture. Bien, il est grandement temps de commencer  la mission recherche d'un véhicule. J'ai 17 ans, j'ai pas mon  permis. Mais, en 8 mois, j'ai pu pratiquer. Je prends à droite, vers  le nord. Les premières lueurs me parviennent. Il me faut des  lunettes de soleil, j'ai oublié mes dernières dans l'ancienne  voiture qui a pris feu à cause de la chaleur. Une voiture grise est  à l'angle de la rue. Fermée. Je casse la vitre avec le manche de ma  machette. J'ouvre la portière et rentre. Les clefs... Pas de trace.  Vas falloir bricoler. Je sors les fils et les connecte.  Pas de  réaction. Sûrement plus de carburant.

Une demi-heure plus tard, je tombe sur un S.U.V. noir. Il n'y a pas beaucoup  de voiture par ici, ils ont sûrement tous essayé de partir durant  les premiers tremblements de terre. Les clefs sont sur le contact.  J'allume la voiture. Le vrombissement du moteur vibre comme un lion.  J'adore. Le niveau d'essence est presque plein. Je suis drôlement  chanceuse aujourd'hui. Mission terminée. Je regarde dans la boîte à  gants. Des lunettes de soleils. Dieu serait-il avec moi ? Ou peut-être la Force ?
Je les mets en sortant pour fouiller le coffre. Il contient une couverture, une cage (sûrement pour un chien),  une roue de secours et un bidon  d'essence. Utile. Je me mets au volant et conduis en direction de  l'est. Orlando est à l'est. Je ne sais pourquoi je vais par là.  Certainement parce que c'est la seule chose qui me vient en tête.
J'en ai pour au moins 15 heures de route. Je monte sur la bretelle  d'autoroute. Les tremblements n'ont pas été le plus dévastateur. Les dégâts matériels ne sont pas énormes. Le bitume est presque intacte. Par contre, les voitures vides arrêtées un peu partout sur la route montrent que la population était complètement affolée.  Nous l'étions tous. Il n'y a pas beaucoup de cadavres par ici non plus.  L'autoroute est surélevée, elle n'a pas été touchée par les eaux. C'est sûrement pour ça.

Après plusieurs kilomètres sur une autoroute claire et tranquille, la route se fait plus encombrée. J'ai quitté le viaduc pour une route bien sur terre. Les corps inertes s'enchaînent. La  plupart sont gonflés comme des ballons et bleus. Je suis obligée de rouler dessus pour garder une cadence acceptable. Ca me crève le  coeur de devoir passer sur ces personnes, sur ces êtres humains. Mais je ne dois pas perdre de temps. Il sera bientôt midi. Je  m'arrête à l'ombre dans une station service. La voiture a besoin de  refroidir. Sous un soleil aussi chaud, il faut être prudent. Cette  matinée fut calme et tranquille. Espérons que ça continue ainsi.

Des frigos. Ils ne doivent plus fonctionner depuis un  moment maintenant. Je vais toujours vérifier. Dans le magasin de la station service, il y a une rangée de 5 ou 6 frigos vitrés. Le  premier à droite ne contient que des pizzas dégelées et pourries,  le second contient ce qui devait être des glaces. Les deux suivants  ne possèdent rien d'intéressant. Il n'en reste plus qu'un. Lorsque  j'arrive devant,  un haut le coeur me submerge. Je n'ai rien dans  l'estomac ou très peu, rien n'en sort. Mais, cet organe s'obstine tout de même à essayer d'en faire sortir son contenu. Après plusieurs tremblements, je me calme enfin. Je ne peux empêcher mon regard de  revenir face à ce frigo. Je vois de la chair, de la pourriture, des larves et des mouches. Un homme est enfermé auprès de boissons et de sandwichs, les larves lui dévorent les entrailles. Et les mouches rodent autour de ses orbites. Son visage est étonnement bien conservé. Il a les traits d'un quinquagénaire. L'homme doit avoir  pris peur et s'est réfugié dans son frigo. Le pauvre est  certainement mort de froid.

Il faut que je détourne mon regard.  Mais, celui-ci reste rivé sur les larves se tortillant dans tous les sens. Je dois le bouger de là. Il se fait bouffer de l'intérieur.  J'ouvre le frigo, le corps tombe de lui-même en un bloc. Les mouches s'envolent et me tournent autour, furieuses. Les larves sont  éparpillées au sol. Je tire le glaçon humain jusqu'à la lumière du jour. L'homme est froid mais, il n'a aucune trace de glace. Il n'est donc pas mouillé. Je l'arrose d'essence. Comment je l'allume ?  Le réchaud. Je prends le réchaud et l'allume près de l'homme. Il  s'enflamme aussitôt. Je vais chercher deux bouts de plastiques  rigides où les prix et codes barres sont affichés dans le magasin.  Ainsi que du scotch. Je fabrique une croix sommaire et la plante dans  le sol. A l'arrière du bâtiment, c'est un véritable désert de  terre. La chaleur près du brasier est insoutenable. Je reste là, debout, en silence, durant plusieurs minutes. Je tenais à lui offrir des obsèques décentes. Je ne le connais pas. Mais c'est le seul cadavre que je peux toucher sans dégoût. Certainement parce qu'en  un bloc, c'était plus facile de le déplacer sans qu'un membre se détache. L'odeur commence à être horrible. Je repars. 




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