Il fait atrocement chaud. Je me sens fiévreuse et mon dos, se trouvant dans une position qui n'a rien de naturel, me fait mal. Ma tête est posée sur quelque chose de dur et ce n'est certainement pas mon oreiller. J'ai encore trop de mal à ouvrir les yeux. Une minute... Je ne dors pas comme ça dans mon lit.
Sauf si je n'y suis pas.
Des gouttes de sueurs perlent sur mon front. Je sens des picotements atroces dans ma nuque cambrée et des fourmillements désagréables dans les pieds. Mon pauvre ventre gargouille férocement, je n'ai certainement rien avalé depuis un petit moment. Je soulève prudemment mes paupières, tout en espérant que je me suis simplement endormie sur mon bureau.
-Mais qu'est-ce que...
Devant moi se trouve une étagère remplie de livres. J'inspire et une odeur de vieux papier rentre dans mes narines.
Et bien bravo Regina ! Je me félicite d'être aussi crétine. Il n'y a pas meilleure que moi dans l'art de faire des conneries. J'ai réussi à m'endormir sur mon lieu de travail !
De plus, je me suis affalée sur un ouvrage et j'ai bavé dessus. Je suis sûre que je vais retrouver des marques sur mon visage... Je devrais arrêter de travailler aussi tard, mais ce petit boulot à la bibliothèque municipale me permet d'échapper à mon quotidien devenu monotone. Moi qui apprécie plus la lecture que d'aller traîner en ville comme n'importe qui le ferait.
Une minute ! Je ne me souviens même pas d'être venue ici ! Flûte !
Je me tortille dans tous les sens et finis par me mettre debout. Je m'étire, énervée et cherche mon téléphone jusqu'à ce que je me souvienne que je n'en ai plus et que, par contre, une montre est attachée à mon poignet gauche. Mon seul outil de communication moderne s'est retrouvé en miettes lorsque je l'ai accidentellement laissé tomber sur le sol goudronné. Et je n'ai malheureusement pas les moyens pour m'en acheter un nouveau dans l'immédiat. Je ne sais pas ce qui est le plus flippant: ignorer la raison pour laquelle on se trouve dans un endroit dont on croyait être parti. Ou se rendre compte qu'on a raté notre première heure du premier jour de cours de sa dernière année au lycée. (Et c'est malheureusement obligatoire de s'y présenter).
Tout en fouillant dans mon sac à dos que j'ai constamment avec moi, j'essaye de me souvenir d'hier.
L'eau est revenue chez moi, j'ai donc enfin pu prendre une douche (L'eau chaude est assez rare par chez moi pour que je le souligne).
Ah ! J'ai aussi rendu l'argent que je devais à Vicky. Je suis ensuite partie manger une pizza... Mais Rick et sa bande de potes m'ont vite coupé l'appétit en s'installant à deux tables de la mienne dans la Pizzeria du quartier. Elle est tenue par un Italien venu s'installer ici afin de faire découvrir ses délicieuses recettes maison. Je vais souvent manger là-bas. (Le patron me connaît bien: j'ai été un de ses premiers clients).
- Euh..., dis-je en claquant des doigts, comme si les souvenirs me reviendraient de cette façon plus facilement.Ma voix est modulée. Toujours avec un accent enfantin.
Un autre regard à ma montre me fait comprendre que je vais être en retard si je ne me dépêche pas. J'ai déjà certainement raté le bus, alors je vais devoir courir pour rejoindre le lycée avant que le portail ne soit fermé de nouveau. Deux options s'offrent à moi :
- Rentrer, se préparer et satisfaire mon ventre. Du coup rater d'autres heures et risquer d'être exclue ou courir pour rattraper la deuxième heure en écrasant mon pauvre estomac fragile.
Ce ne fut pas la décision la plus difficile que j'ai eu à prendre dans la vie, mais c'est un sacré sacrifice pour moi. Mais comme dit ce François machin chose:
Le trop grand empressement Qu'on a de s'acquitter d'une obligation est une espèce d'ingratitude.
Attention, pour moi, c'est la nourriture mon obligation.
J'ai donc piqué un sprint jusqu'à atteindre l'enceinte de l'école. Alors que le surveillant s'apprête à fermer la grille, je hurle:
-Attendez !
Ce dernier me jette une œillade, méchante et réprobatrice et finit par la fermer avant mon arrivée.
Je finis par escalader le mur derrière l'établissement et sauter à l'intérieur sans faire de bruit.
Dans le hall, je perds mon temps à chercher mon nom pour connaître l'emplacement de ma classe. Mon doigt glisse sur plusieurs feuilles et après deux bonnes minutes, je trouve enfin ma destination. Finalement c'est la même salle que l'an dernier. Je pique un nouveau sprint dans les escaliers, direction le deuxième étage. Je ne suis pas encore en retard, j'ai un peu de temps pour passer aux toilettes dans le but de m'arranger le portrait. Heureusement pour moi, ils se trouvent juste en face de ma classe. Tous les élèves doivent être déjà rentrés et la sonnerie doit être sur le point de retentir.
Dans le miroir, ce que je vois est loin d'être parfait. Je coiffe mes cheveux noirs avec mes doigts de façon approximative et les attaches. Remet mon t-shirt bleu ciel en place ainsi que mon vieux jean noir. J'attache les lacets de mes pauvres baskets et mâche un chewing-gum pour éviter la mauvaise haleine en me lavant le visage puis bois le reste l'eau chaude que j'ai. J'ai la marque du livre imprimée sur mon front, mais tant pis.
Je sors en trombe des toilettes et je toque une fois à la porte. Celle-ci s'ouvre sur un professeur que je ne connais que trop bien. La trentenaire maigrichonne, du haut de ses talons aiguilles noirs, me toise sévèrement. C'est mademoiselle Trolls. Ma prof d'histoire. Une femme au caractère déplaisant, avec qui j'entretiens une relation pas très amicale depuis maintenant deux ans. Ses yeux sont aiguisés, ses lèvres pincées et sa beauté trop entretenue. Dès que je passe l'embrasure, le bruit infernal qui annonce le début de la journée se met à résonner dans tout le bâtiment.
Je prends place au fond de la salle. Malheureusement, celles qui se trouvent près des fenêtres sont déjà prises. Premier arrivé, premier servi.
Après une dizaine de minutes, je perds le fil du cours d'histoire. Mon esprit commence à dérailler
-Hey, pssst ! Regy !
Je contemple mes bras et l'incrédulité se peint sur mon visage. J'ai faillit ne pas remarquer mes blessures. Comment sont-elles apparues ? Est-ce qu'il y a un rapport avec la bibliothèque ? Je ne me souviens de rien. Je pensais que ce n'était pas très grave, mais à la vue de mes bras griffés, je me dis que quelque chose ne s'est pas passé comme prévu hier soir. Je ne suis même pas sûre que je devais travailler.
-Regy !
Je me retourne, agacé par la voix qui m'appelle depuis cinq minutes. Jordan.
-Qu'est-ce qu'il y a ? Chuchoté-je en le regardant froidement.
A ce moment-là, je me tourne face au tableau pour jeter un coup d'oeil à la prof qui a les yeux rivés sur moi. Je fais mine de prendre des notes. Lorsqu'elle se retourne enfin, ma tête pivote vers Jordan.
-T'as entendu la rumeur ?
Je fronce les sourcils en le questionnant du regard. Il affiche un air triomphant et un sourire malicieux, comme s'il avait prit connaissance d'un secret extraordinaire.
-Il paraît que tu t'es battue avec Rick hier soir. C'est vrai ?
J'ouvre grand les yeux, leur permettant presque de les faire sortir de leurs orbites, puis je met ma main devant ma bouche avant de gober un insecte. Je secoue la tête quelques instants après et une fois mes esprits retrouvés, le lève les yeux au ciel. Les rumeurs concernant Rick et moi ne s'arrêteront jamais et ne cesseront de me surprendre. Celle-ci est encore plus stupide que la précédente. La dernière fois, il était question d'une histoire d'amour avec ce bouledogue et maintenant, je me bas avec lui ! Il faudrait savoir ! Décidément, les rumeurs nous apprennent des choses sur nous qu'on ne soupçonnent même pas...
Une violente migraine s'empare de mon crâne, comme si on martelait ma tête. C'est alors que des bribes de souvenirs me reviennent.
Je sors de la pizzeria, suivie de près par Rick.
-Mais fiche-moi la paix bon sang ! Tu as besoin de venir me casser les pieds même pendant mon repas ?
Il me retient par le bras, j'essaye de me dégager, mais il réplique.
-Attends espèce de vieille pie ! Laisse-moi parler au moins ! Merde !
Je réussis à me dégager. D'où est-ce qu'il se croit tout permis lui ?
-Ne m'insulte pas !
-Tu ne comprends pas quand je te dis qu'ils te cherchent ou quoi ?
Je fronce les sourcils, agacée par le ton qu'il prend pour me parler.
-Non je ne comprends pas ! Arrêtes de mentir bouledogue, ça te va mal. Pourquoi veux-tu qu'ils me cherchent, moi, au juste ?
Rick pousse un long soupir et se rapproche encore de moi.
-Ils sont toujours persuadés que tu es ma... Petite amie.
Je soupire face à la stupidité de ses sombres crétins.
-Ah oui ? Ça me fait une belle jambe tiens ! Comment quelqu'un de sain d'esprit peut croire que toi et moi, on est ensemble ?
J'étouffe un rire et me retourne pour tracer ma route et par la même occasion, fuir Rick.
- C'est à cause de cette stupide rumeur... Si tu me fichais la paix, personne ne croirait ça.
Il me rattrape vite. La seule pensée qui me vient à l'esprit, c'est de gifler cet idiot !
- C'est une blague ? Répète pour voir ! Espèce de gros cinglé ! C'est toi qui me cours après ! Bouledogue !
- Je vais ignorer le fait que tu m'appelles comme un chien. Je veux juste te prévenir ok ? On va régler ça. Mais avant, tâche de bien te conduire et de ne pas te promener cette nuit.
- Mais... Comment tu ...
-Ecoutes, tu dois me dire où tu habites. Les gars m'en veulent. Ils sont prêts à tout pour trouver mon point faible.
-Ouuuh et je suis ton point faible ?
- C'est ça, dans tes rêves, ma chérie.
-Ne m'appelle pas comme ça.
-Comment ? Chérie ?
Son comportement va finir par me mettre hors de moi. Une bonne fois pour toute, je me mets à courir pour lui échapper. Heureusement que je suis plus souple que lui. Au détour d'une ruelle, il ne me trouve plus. J'arpente le parc abandonné, sur le chemin de mon appartement.
-Dis-moi au moins où tu habites ! Crie-t-il derrière moi.
"Jamais de la vie ! " pensé-je fort.
Ce que je ne dis pas, c'est que je vis dans un appartement, au dernier étage d'un vieil immeuble pourrit et abandonné depuis une dizaine d'années. Je ne sais pas comment j'ai été assez stupide, naïve et sotte à mes quatorze ans pour croire l'homme malade qui me l'avait loué et qui a disparu juste après, avec tout l'argent que j'ai pu récupérer de ma famille d'accueil, morte depuis des années...
Je me retrouve quelques heures plus tard, à la nuit tombée, en train de marcher dans le parc. Cet endroit est tellement paisible. Très peu de gens y passent: les jeux pour enfants sont cassés, les bancs sont couchés que le côté et ce n'est pas l'endroit le mieux sécurisé de la ville.
Le cri suraiguë d'une femme me sort de ma rêverie. Je cours à toute vitesse vers la source de celui-ci et croise la femme qui s'enfuit à toutes jambes, sortant d'une rue attenante au vieux parc abandonné. Je m'engouffre dans celle-ci et c'est là que je vois Rick, tenu par les bras par deux personnes vêtues de noir et portant chacune un masque. Le pauvre bouledogue se fait martyriser par une troisième, le martelant de coups de pieds et coups de poings à divers endroits. Sans hésiter, je fonce droit sur les agresseurs. J'ai appris à me débrouiller seule et à me défendre de toutes les manières possibles.
J'assène des coups à l'agresseur qui lâche Rick, mais les deux autres participants se mettent à le frapper. Je n'ai que deux mains, je ne peux pas m'occuper de tout le monde ! Je me mange quelques poings dans la figure, notamment un bien placé au niveau de la bouche. Je balance mon pied dans son entrejambe pour me venger. Je glane quelques griffures sur mes bras nus au passage. Je me tourne face à Rick. Je ne sais pas s'il m'a vu. Je m'approche d'un des attaquants que je mets rapidement au tapis, mais je m'aperçois qu'un autre arrive, armé d'une espèce de batte de base-ball. Avant que je ne puisse faire quoi que ce soit, il m'assène un coup sur la tête, me faisant tomber à la renverse.
Je rouvre les yeux, retournant à la réalité. Voici donc ce qu'il s'est passé hier soir. Je comprends bien mieux pourquoi ce mal de crâne atroce, cette douleur dans le dos à mon réveil et mes griffures sur les bras. Réalisant à peine que je suis allée au secours de Rick, la sonnerie indiquant la fin de l'heure retentit.
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Mendax Game: Qui sera le meilleur menteur ? (Arrêt)
Misterio / SuspensoCette oeuvre est écrite en collaboration avec @BloodyMoon91. Sans elle les phrases ne seront pas si bien attachées. Elle apporte sa touche et aide le texte à se mettre en place. N'hésitez pas à aller voir son profil et à consulter ses œuvres :) ***...