Les miroirs brisés de l'âme

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- Et c'est ainsi que Louis XVI mourut, guillotiné alors qu'il était en plein discours d'adieu.

Ma professeure répétait pour la troisième fois ce que certains élèves peinaient mystérieusement à comprendre. Je ne voyais pas ce qu'il y avait de si complexe. Louis XVI s'était fait trancher la tête. Point à la ligne.

Je m'ennuyais donc comme un rat mort sur une corde à linge, essayant de trouver le moindre intérêt à ce cours de littérature, d'habitude pourtant si intéressant.

- Voici enfin la synthèse numérisée, annonça notre professeure, de toute évidence lasse d'exaspération.

Et puis, je regardai le résumé. Mes yeux balayèrent l'écran pour n'y trouver qu'une chose : une révélation.

Elle me vint, comme ça. Comme un claquement de doigts qui aurait réveillé la population portugaise d'un seul coup. Comme une encyclopédie qu'on m'aurait gentiment jetée sur la tête.

Depuis toute petite, je m'en doutais. Je savais que je ne pouvais pas y échapper. Ma famille autour de moi, tous y étaient passés. Parents, frères et soeurs, tous ceux qui avaient vécu dans cette maison.

Et moi, comme une pauvre naïve, j'avais cru que j'aurais pu m'en sortir, que j'aurais pu trouver un autre moyen de passer par ce tunnel flou et inquiétant. Du haut de mes quinze ans, j'avais espéré pouvoir tricher avec le destin, m'éloigner de ses plans voués au marasme désespérant. J'avais beau plisser les yeux, rien n'y fit. On ne rivalisait pas avec notre destinée.

Comment avais-je pu oser me faire à l'idée que peut-être, cela ne m'arriverait jamais ? Comment avais-je pu, ne fut-ce qu'une seule seconde ?

Je laissai tomber ma tête dans mes mains. En l'espace d'un instant, j'étais passée d'exagérément lasse à tristement exténuée. Tout gagnait et perdait son sens à la fois.

- Madame, est-ce qu'il faut savoir ça pour l'exam ? demanda bêtement une élève en brandissant énergiquement ses notes.

La voir me fit un nouveau choc. S'il y avait quelque chose de pire que la malédiction qui s'acharnait sur ma famille, c'était bien d'être stupide. Ou, du moins, de faire exprès de l'être.

Peut-être que ce n'était pas si pire. Peut-être qu'après, je remercierais un ange de m'avoir fait subir cela. Peut-être que j'allais m'en remettre. Peut-être...

Je me secouai vivement la tête et respirai un bon coup. Inspire, expire. Il fallait voir la vérité en face : je l'étais. Aussi difficile que cela pouvait paraître, je l'étais.

- Nadeige, t'es sûre que ça va ?

Mon voisin de bureau avait une mine plutôt bizarre, voire inquiète. Je le gratifiai d'une mine découragée avant de lui répondre :

- Nah. J'ai besoin de lunettes.

NadeigeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant